Après l'immense succès du Cuisinier (sur le point d'être adapté au cinéma), dans lequel cuisine aphrodisiaque, crise financière mondiale et Tigres tamouls se mêlaient allégrement, l'auteur suisse allemand Martin Suter est de retour avec un projet moins ambitieux, mais fort sympathique. Dans Allmen et les libellules, il raconte les péripéties de Johann Friedrich von Allmen, fils ruiné d'un riche industriel qui gère ses dettes avec un sens des priorités bien à lui. Histoire moderne d'un gentleman cambrioleur au code d'honneur particulier, ce roman, qui pourrait bien être le premier d'une longue série, distille un parfum suranné qui fait sourire. Martin Suter nous en parle.

Q On sent que vous êtes amateur d'Arsène Lupin. C'est une inspiration pour vous? Vous aimez ces héros un peu rétro?

R Je ne me suis pas inspiré d'Arsène Lupin. J'ai seulement cherché un personnage avec lequel je pouvais m'imaginer passer beaucoup de temps. Parce qu'une série de polars, c'est beaucoup de temps. J'aime Allmen parce qu'il est poli et qu'il a du style.

Q Allmen semble provenir d'une autre époque. Vous vouliez donner ce côté vintage à votre roman?

R Je n'avais pas envie d'écrire des histoires sombres et brutes. Je voulais écrire quelque chose de divertissant et je n'aime pas trop la mode de divertir avec le sang, la brutalité et l'abîme de l'âme humaine.

Q Vous avez eu envie de vous amuser un peu quand vous avez décidé d'écrire ce livre?

R Quand j'écris, c'est toujours aussi un peu pour m'amuser. Sans cela, je m'ennuierais et ça se verrait. Allmen est né comme cousin mal tourné d'Adrian Weynfeldt (Le dernier des Weynfeldt, 2008) avec lequel j'avais passé un moment très agréable.

Q L'intrigue à résoudre est importante, mais vous soignez aussi beaucoup les détails dans vos histoires. Vous aimez qu'on voie dans quel milieu, dans quel lieu vos personnages évoluent?

R Selon le grand théoricien de structure américain Robert McKee, le réalisme rend l'impossible plausible. C'est pour ça que je soigne les détails. Ils sont une base très solide pour la fiction. Quant à l'intrigue, c'est-à-dire le secret, c'est ce qui fait que l'on continue de lire même dans des étapes où le style ou l'atmosphère ne suffisent pas pour tenir le lecteur en éveil.

Q Vous êtes fasciné par l'argent?

R Oui, comme tout le monde. L'argent a toujours été ce qui fait les différences. Je me suis toujours méfié de la littérature qui ignore l'argent comme facteur social, politique, de pouvoir, etc. En plus, l'argent est un moyen très pratique pour augmenter la hauteur de chute d'un personnage.

Q Vous aimez les duos un peu inégaux, les rapports de classe. Ça donne des récits différents, vous croyez?

R L'identité, la question de ce que nous sommes et de ce que nous pourrions être, est le leitmotiv de tout mon travail. C'est-à-dire que le duo inégal se trouve déjà à l'intérieur des personnages.

Q Sans Carlos, son aide domestique, Allmen ne s'en sortirait pas. Prendra-t-il plus de place dans les prochains livres?

R Carlos est aussi important qu'Allmen parce qu'il est son miroir, il l'aide à rendre visibles les réflexions. Et oui, il prendra un peu plus de place dans les suites.

Q Est-ce que c'est un art, savoir dépenser de l'argent et gérer ses dettes?

R Il y a sûrement un côté artistique dans le métier d'aigrefin!

Q Vous partagez toujours votre vie entre Zurich, Ibiza et le Guatemala? Vous avez un roman en route?

R Oui, nous vivons toujours entre ces trois lieux. J'écris mes romans surtout au Guatemala. Je viens de terminer un nouveau Allmen (Allmen et le diamant rose) et j'ai commencé un roman non Allmen.