Une route en janvier. Treize personnages dans la solitude de leurs véhicules. Un carambolage qui fusionnera pour un instant les destins et les corps. Après le choc de son premier roman audacieux, La canicule des pauvres, Jean-Simon DesRochers, encore une fois, frappe fort avec Le sablier des solitudes. Portrait d'un maniaque littéraire.

Personne n'a vu venir le bolide Jean-Simon DesRochers en 2009, qui a bien failli passer inaperçu. Son premier roman «choral», La canicule des pauvres, avait de quoi faire peur: une brique de 700 pages, contenant 150 chapitres et 26 personnages. La pilule a fini par passer comme du bonbon et, pour son deuxième roman, c'est maintenant l'embouteillage d'entrevues. On pourrait croire qu'il s'est calmé avec Le sablier des solitudes, qui n'a «que» 13 personnages, mais ce serait oublier le vaste projet dans lequel ce roman s'insère, l'écrivain étant dans une démarche qu'il veut «plus vaste qu'un livre», quelque chose comme une «mythologie littéraire». Il en est déjà à l'écriture de son quatrième roman, en plus d'élaborer les plans d'autres bouquins, qui devraient tous répondre les uns aux autres dans un va-et-vient de personnages. «J'ai un débit qui dépasse la capacité de mon éditeur à sortir les livres, et, de toute façon, je ne veux pas en sortir un tous les ans», dit-il. Après tout, il lui reste à terminer son doctorat sur l'imagination - «qui sera illisible» - tout en s'occupant de sa petite famille...

Jouir par la littérature

Jean-Simon DesRochers est autant dévoré par l'ambition que par le démon de l'écriture. À la limite de l'arrogance, mais c'est en fait un enthousiaste parfaitement décomplexé, qui jouit sans inhibition par la littérature. «Je sais que je vais mourir rempli de regrets, lance-t-il avec un grand sourire. Je veux vivre vieux, car je dois écrire. Et je me demande tout le temps: «Comment est-ce que je peux raconter quelque chose de la meilleure façon possible?» Je ne veux pas juste écrire «un bon roman», j'ai la prétention de vouloir faire quelque chose de nouveau, d'aller au-delà du talent, par le travail. C'est pourquoi je passe énormément de temps à créer ma bible de personnages et à construire des plans.»

Plus c'est compliqué, et plus il aime ça, mais surtout pour lui-même, car il a un grand souci de préserver le plaisir de lecture pour ses éventuels lecteurs, même s'il avoue leur en demander beaucoup. «Les contraintes, ça me rend heureux, dit-il. De toute façon, si on se lance dans un projet littéraire complètement libre, on finit par subir des contraintes qu'on n'a pas choisies. Alors, je préfère les choisir. Dans mes projets, je suis control freak, voire maniaque.»

Ainsi, pour Le sablier des solitudes, il a soigneusement dessiné la disposition des voitures dans le carambolage au coeur de son roman construit comme un sablier, un accident qui impliquera des personnages aussi différents qu'une soldate en permission, un ministre masochiste, une fillette dépressive, un ancien bourreau texan, une artiste, un adepte de porno, un conducteur d'autobus conspirationniste... Bref, un événement commun aux interprétations multiples. Tout à fait dans son genre.

La vie matérielle

Jean-Simon DesRochers a lui-même vécu un carambolage quand il avait 16 ans. La conscience aiguë, après le choc initial, des collisions successives, transformant les carcasses en tombeaux. Les quatre passagers des voitures qui l'entouraient ont été tués. «D'un point de vue humain, tout ce que tu peux retenir d'une telle expérience, c'est que tu n'es qu'un élément parmi énormément de choses. C'est fondamental dans mon univers. Philosophiquement, je suis un matérialiste, un observateur, et je m'assume comme tel.»

D'où la réalité crue de ses romans, qui mêlent joyeusement éros et thanatos. «Je pratique une écriture du corps, et la sexualité nous ramène à des états du corps qui sont sans pensées. Il n'y a rien de sacralisé dans ce que je fais, tout est sur un même pied d'égalité. Et je ne tombe pas dans la morale, car on ne parle plus ce langage-là. Le cynisme a fait des ravages quant à la capacité d'apprécier la justesse d'une leçon. Faire la leçon aujourd'hui, ça ne passe plus de messages. C'est au lecteur de se faire une morale.»

Jean-Simon DesRochers est loin de prendre ses lecteurs pour des imbéciles, et ce ne sont pas les prix pour lesquels il est en lice qui vont changer les choses. «Que j'écrive pour 2 ou 20 000 lecteurs, je ne vais pas changer ma démarche ni ce que je suis. Moi, je veux avoir la satisfaction de dire, à 70 ou 80 ans, en regardant mes livres: voici ce que j'ai apporté à la littérature, qui en retiendra ce qu'elle voudra.»

En l'écoutant énumérer ses nombreux projets, on lui souhaite de vivre vieux...

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Le sablier des solitudes. Jean-Simon DesRochers. Les Herbes Rouges, 359 pages.