Les millions de Millenium s'avèrent une malédiction pour Eva Gabrielsson, la veuve de Stieg Larsson, dépossédée de son deuil par la famille de l'auteur. À moins que sa tragédie ne constitue le 4e tome de la trilogie.

Le 9 novembre 2004, non seulement Eva a perdu l'amour de sa vie, terrassé par une crise cardiaque à 50 ans. Mais elle s'est retrouvée au coeur d'une âpre bataille juridico-financière l'opposant au frère et au père de l'auteur pour l'héritage de Stieg, devenu un business multimillionnaire et planétaire.

«La dernière fois que je les ai revus, dix mois après la mort de Stieg, son frère Joakim a proposé que j'épouse son père. Ainsi, on aurait réglé le partage d'héritage», confie-t-elle jeudi à l'AFP, de passage à Paris à l'occasion de la publication de son livre-témoin, Millenium, Stieg et moi (Actes Sud). Une proposition qui l'a laissée «tétanisée», écrit-elle.

«Les Larsson ne se comportent plus comme des individus mais comme une entreprise qui brasse des milliards», accuse-t-elle, face aux 50 millions d'exemplaires traduits et vendus dans le monde, sans compter les films et séries télévisées.

Mercredi, le frère a réfuté sur son site internet les informations du livre, «plein de contre-vérités et d'approximations» selon lui, se défendant d'exploiter l'industrie «Millenium» comme Eva l'en accuse.

«C'est mesquin et indigne», se contente de répondre l'intéressée, qui s'en voudrait de réduire plus de 30 ans de vie commune à une sordide guerre de succession.

«Tout ça, c'est une histoire de misogynie, c'est ce que les hommes font aux femmes». Car l'erreur d'Eva Gabrielsson fut d'être une compagne dans l'ombre, une concubine mais pas une épouse: Stieg, qui enquêtait sans concession sur la face noire de la Suède, la corruption et l'extrême-droite, pensait ainsi la protéger en la gardant de tout lien légal entre eux deux.

Mais la loi suédoise ne reconnaît aucun droit au conjoint survivant non marié. Et si Stieg, comme elle l'affirme, l'avait demandée en mariage à l'annonce de la publication de son manuscrit, resté longtemps en souffrance chez les éditeurs, il n'en a pas eu le temps.

Écartée de la succession de Stieg Larsson, donc des droits d'auteur et de tout regard sur l'exploitation faite de son oeuvre, y compris cinématographique, elle a même failli perdre l'appartement acheté en commun, finalement récupéré au bout de trois ans, ainsi que les comptes bancaires du couple.

Elle espérait que son sort, amplement médiatisé et qui lui a valu une large sympathie populaire en Suède «parce que tout le monde connait quelqu'un dans cette situation», permettrait de faire évoluer la loi. Elle a même écrit sur le sujet. «Mais il ne s'est rien passé».

Aujourd'hui ce qu'elle revendique, c'est le droit gérer l'oeuvre, pas les retombées financières.

«Malgré son train de vie ultra-modeste, elle a renoncé aux 2 millions d'euros qui lui étaient offerts pour solde de tous comptes», relève Marie-Françoise Colombani, éditorialiste au magazine Elle et coauteur du livre, pour qui «la réalité a rejoint Millénium».

Mais Eva détient peut-être l'arme fatal: le fameux «Quatrième tome», que les fans espèrent encore à travers le monde et dont l'ébauche se trouverait dans l'ordinateur de Stieg.

«Il n'y a pas de livre à proprement parler, mais le début de quelque chose. Des fragments, à mi-chemin entre le carnet de croquis et le manuscrit», indique-t-elle. «Ce que je peux vous dire, c'est qu'on y retrouve Lisbeth, quelque part au Canada».

Eva Gabrielsson aurait la capacité de boucler ce manuscrit. Parce que Millenium, insiste-t-elle, est la somme de leurs vies avec Stieg, de leurs recherches et de leurs expériences. «Mais la famille n'a aucun intérêt à me laisser faire».