Les invités à la réception du 50e anniversaire des éditions Hurtubise HMH, hier soir, ont reçu un exemplaire de l'édition de luxe des Songes en équilibre, recueil qu'avait publié Anne Hébert aux Éditions de l'Arbre de Claude Hurtubise en 1942.

Comme d'autres grands noms de la littérature «canadienne-française» du temps, Anne Hébert suivra Hurtubise à la nouvelle maison qu'il fonde en 1960 et à laquelle il  donne son nom et les initiales des associés français, Hatier et Mame. «Claude Hurtubise était un excellent éditeur», rappelle Jacques Michon de l'Université de Sherbrooke, spécialiste de l'histoire de l'édition québécoise.  «D'abord éditeur de guerre, il avait ensuite été représentant pour Beauchemin et Mame avant de devenir administrateur des Écrits du Canada français en 1954.»

Quand Claude Hurtubise part aux Éditions La Presse en 1975, HMH a déjà publié des ouvrages de la plupart des noms importants de l'intelligentsia de la Révolution tranquille: Rocher,  Ferron, Thériault, Marcotte. Dumont, Kattan, Ouellette, Vadeboncoeur.

Dans les bureaux, un jeune administrateur attend son heure: il  a la «piqûre» du livre - il a le nez dedans depuis qu'il est petit - et la piqûre du Québec où il est arrivé deux ans plus tôt. Hervé Foulon, fils du propriétaire de Hatier et arrière-petit-fils du fondateur de la prestigieuse enseigne, deviendra propriétaire de Hurtubise HMH en 1977.

«Comme le gars des rasoirs, j'aimais tellement la compagnie que je l'ai achetée», lance à la blague Hervé Foulon, actionnaire «à 99 %» de l'une des rares maisons d'édition québécoises à avoir atteint les 50 ans; les autres sont Leméac, lancée en 1957, les Éditions de l'Homme, fondées en 1958 et aujourd'hui partie de Quebecor; et Fides, fondée en 1937 par les Pères de Ste-Croix.

«Hurtubise est indépendant des grands groupes et compte parmi les maisons les plus diversifiées de l'édition québécoise», souligne M. Foulon, reconnu par ses pairs comme un administrateur de premier plan. «Nous vendons des livres grand public, comme les romans historiques de Michel David (La Poussière du temps) mais nous avons aussi des collections plus pointues, comme Textures et amÉrica.» Et Les Cahiers du Québec, la plus ancienne collection d'essais de l'industrie.

«Quand il est arrivé à la tête d'Hurtubise, souligne Jacques Michon, Hervé Foulon a eu l'intelligence de conserver les collections qui faisaient la spécificité de la maison. Ce n'est pas toujours le cas des nouveaux propriétaires. Hervé Foulon a respecté l'esprit que Claude Hurtubise avait donné à HMH.» Tout en s'ajustant aux réalités de l'heure en réorientant l'activité éditoriale - d'un éditeur scolaire à 70 % il y a 30 ans, HMH publie maintenant les trois-quarts de ses titres dans des secteurs non-scolaires - ou en se diversifiant. Ainsi, rappelle M. Michon, le Groupe HMH (voir www.editionshurtubise.com) est-il aujourd'hui «le seul éditeur indépendant à exploiter sa propre compagnie de distribution, qui s'avère une affaire rentable».  Depuis 2001, HMH est aussi propriétaire de la Bibliothèque du Québec à Paris - 10 000 volumes en rayons  - et, depuis l'an dernier, des éditions XYZ dont l'ajout a considérablement raffermi la position du groupe dans le secteur littéraire, mouvement amorcé avec l'arrivée de Jacques Allard en 2001.

Hurtubise a été par ailleurs le premier à publier des traductions d'auteurs anglophones - La galaxie Gutenberg de Marshall McLuhan, Rue St-Urbain de Mordecai Richler - et des adaptations d'ouvrages didactiques français. Ainsi, avec des ventes de l'ordre de 150 000 exemplaires, le Bescherelle (L'art de conjuguer) est-il toujours «le best-seller toutes catégories» de l'édition québécoise.

Pour Hervé Foulon, l'édition est affaire de choix  et d'équilibre: «Dans le livre, l'éditeur cumule les responsabilités du réalisateur et du producteur au cinéma». La même personne donc se trouve responsable et des choix de création et de la santé financière de l'entreprise sans laquelle la question des choix de création ne se pose plus...

Comme pdg, Hervé Foulon ne lit plus tous les manuscrits mais reste très impliqué dans le choix des grandes orientations et le maintien de l'image de la maison. «Le grand défi de l'édition québécoise, c'est la relève. Chez nous, elle est assurée: mon fils Arnaud dirige l'entreprise au quotidien et ma fille Alexandrine est en charge des communications et des droits.»

Et Hervé Foulon voit l'avenir avec optimisme. L'édition québécoise se porte bien, à preuve, dit-il, l'émergence de jeunes maisons comme Alto et Marchand de feuilles. Quant à  Hurtubise HMH, toujours jeune à 50 ans,  elle passera un jour à la cinquième génération des Foulon éditeurs. Gens de lettres qui savent compter; gens de chiffres qui savent lire.

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Le consommateur serait-il lésé par l'application d'une politique de prix unique comme il existe dans d'autres pays? Hervé Foulon ne le croit pas: «De par son rôle social, le livre n'est pas un produit comme un autre. Je ne conteste aucunement le droit des grandes surfaces de vendre des livres. Costco et Walmart offrent entre 250 et 300 titres mais pas le dernier essai de Pierre Vadeboncoeur. De plus, les best-sellers qu'ils vendent à 25 ou 30 % d'escompte sont des livres que le petit libraire ne vend pas. Le petit libraire, c'est son rôle, doit tenir du fond mais il ne peut s'appuyer le gain qu'il ferait sur les best-sellers qui sont vendus ailleurs. Il doit donc augmenter ses marges sur les autres livres qu'il vend.»

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Hervé Foulon, qui préside le Conseil consultatif du livre et de la lecture (CCLL) sans l'avis duquel le ministère de la Culture ne prend aucune décision sur le sujet, ne croit pas que le numérique fera disparaître le livre papier ni que l'émergence du «cyberlibraire» signifiera la mort de son collègue qui a pignon sur rue et dont le rôle sera toujours de «mettre sous les yeux du lecteur potentiel toute la richesse et la diversité de la production littéraire». Les éditeurs québécois lancent plus de 6000 nouveaux livres par année, auxquels s'ajoutent quelque 63 000  nouveautés françaises.

La concentration du marché, déplore par ailleurs Hervé Foulon, a amené la disparition de plusieurs librairies mais quelques petits «indispensables», comme la Librairie du Square (St-Louis) de Françoise Careil, arrivent encore à rester en vie. Diversité... «À Toronto, 65 % du marché de la distribution et de la librairie est contrôlé par un joueur: Chapters-Indigo».