Le 12e roman de Nancy Huston, Infrarouge, réserve bien des surprises à ses lecteurs: voyage touristique, historique et culturel, ce millésime est un livre sur le temps, la sexualité et la recherche d'équilibre dans les relations homme-femme.

La couverture du livre donne le ton: le détail d'un corps nu dans Isaac sauvé, le tableau de Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Le Caravage. En entrevue, Nancy Huston l'avoue d'emblée: écrire sur la sexualité est un exercice difficile. Il faut dire que depuis qu'elle écrit, elle n'est jamais allée aussi loin que dans Infrarouge pour décrire la sexualité humaine.

 

Au début du livre, une longue phrase, catégorie 18 ans et plus, décrit sans retenue les ébats de l'héroïne. On soupèse, on caresse, on lèche. «En se rasseyant, il s'empare de moi et je le laisse s'affairer à son tour de sa langue et de ses lèvres...»

«Ça fait longtemps que j'avais envie de faire un livre sur la sexualité, dit Nancy Huston. Pas un livre érotique. Un livre sur la sexualité, en tenant compte du facteur temps. On est dans des corps qui vieillissent, qui se reproduisent. Mais c'est difficile à réaliser, un livre sur la sexualité. Toutes les expériences hors langage sont un grand défi pour les écrivains.»

Elle dit n'avoir jamais lu un livre comme Infrarouge. «Un livre où les femmes parlent des hommes, où elles les prennent comme objet d'intérêt et de curiosité», dit-elle.

Un jour, elle a participé à une lecture des Monologues du vagin à Paris. Elle a rencontré son auteure, Eve Ensler, et ce fut le début de l'aventure d'Infrarouge. «J'ai lu sa biographie et j'ai appris qu'elle avait été victime d'inceste, violée par son père à l'adolescence et qu'elle avait eu une vie d'adulte de mise en danger systématique. Ça m'a mis la puce à l'oreille. Les don Juan et nymphomanes que j'appelle des sexomanes ont un comportement lié à des expériences de l'enfance.»

Dans Infrarouge, la plus latine des auteures canadiennes évoque donc la question du machisme et de la violence sexuelle à travers son personnage central, Rena Greenblatt. La photographe de 45 ans part en Italie durant une semaine avec son vieux père, Simon, un chercheur juif montréalais, et sa belle-mère Ingrid, d'origine hollandaise. Elle a laissé son dernier amant, Aziz, bien plus jeune qu'elle, dans une région parisienne qui va bientôt sombrer dans la crise des banlieues. L'action se déroule en 2005.

Nancy Huston nous fait parcourir la Toscane et ses richesses. À Florence, les trois touristes s'imprègnent de culture: Dante, Michel-Ange, Galilée, Savonarole, Pic de la Mirandole, De Vinci, tout ce que la botte a enfanté de génies.

Infrarouge apparaît dans un premier temps comme un guide fascinant qu'on emporterait volontiers avec soi dans la cité des Médicis. D'autant que l'auteure enrobe sa narration d'un tissu d'humanité et de clins d'oeil à une société ouverte, curieuse et en paix.

Puis des digressions développent les replis de l'âme de Rena, femme indépendante que l'enfance a passablement perturbée, notamment à cause des relations troubles avec son frère pervers. Ce passé complexe et tourmenté l'a mise sur la voie d'une sexualité sans limites mâtinée de fantasmes qu'elle partage avec son amie imaginaire Subra, qu'elle a créée dans sa tête quand elle avait 9 ans.

Rena photographie les objets et les hommes qu'elle croise, même pendant l'acte sexuel. Elle utilise alors une pellicule infrarouge pour capter au-delà du saisissable et du visible, une sorte de quête de chaleur et de sens. Passant du présent florentin à ses souvenirs souvent douloureux, la photographe profite du voyage pour faire une mise au point sur sa vie.

«Rena plonge dans une multitude de cultures, de langues et de religions et représente une sorte de Jésus-Christ au féminin qui a envie d'aimer tout le monde et qui assume une sexualité très débridée», explique Nancy Huston.

Ce livre très fouillé, solide et très visuel est un roman sur le temps, sur les perceptions, sur les communications homme-femme, parents-enfants, frère-soeur et sur la transmission de la violence, «l'enseignement le plus universel des êtres humains», selon Nancy Huston.

«Infrarouge est une grande déclaration d'amour aux hommes, dit-elle. C'est un livre sur les hommes. Les machos ne sont pas les vrais hommes. Les vrais hommes n'ont pas besoin de tous les atours dont se servent les machos.»

Règlement de comptes? Autobiographique, ce roman? «Il n'est pas autobio, il est pure bio, répond Nancy Huston. Il est sur la vie.»

Infrarouge

Nancy Huston

Actes Sud/Leméac, 32,95$. 309 pages

*** 1/2