Peu d'auteurs québécois sont plus populaires que Michel Tremblay. Son oeuvre, qui dépeint souvent l'univers coloré des milieux populaires, rejoint naturellement un large public, malgré la profondeur et la complexité des thèmes abordés. Cela est particulièrement vrai dans sa dernière trilogie, dont il vient de publier le troisième tome, La traversée des sentiments (après La traversée du continent, puis La traversée de la ville). Tremblay y poursuit son exploration de l'enfance de Rhéauna, une femme qui emprunte le prénom, et sans doute beaucoup d'autres choses, de sa mère.

«C'est un roman plus introspectif que les deux premiers. J'ai essayé d'analyser davantage ces deux femmes (la fille et sa mère), plus les deux soeurs de la mère. C'est un peu un roman d'apprentissage, la découverte de la campagne par une fille qui a été retirée de la campagne où elle avait vécu cinq ans, en Saskatchewan, dans une nature qui est plutôt plate. Elle se retrouve tout à coup plongée dans une nature de montagnes dont elle ne soupçonnait même pas l'existence.»

«Pendant une semaine de vacances, ces quatre femmes, plus une cinquième, sont plongées dans un univers complètement différent, ce qui permet de les rapprocher. Pour moi, ça été intéressant de les montrer se rapprocher, mais sans la conversation.»

«Elles n'ont pas de conversations; entre les trois femmes et la petite fille, il n'y a qu'une sorte de bonheur de ne rien faire pendant une semaine, une sorte de parenthèse pendant une période de vie où elles sont plutôt marginalisées.»

Le livre aura une suite. «Ce ne sera pas une Traversée, mais, un peu comme avec les Chroniques (du Plateau-Mont-Royal), j'ai eu envie de continuer avec ces personnages.»

Le rapport aux lecteurs

Même s'il situe souvent ses oeuvres dans le passé, Tremblay garde une pertinence très contemporaine. Fidèle à ses lecteurs comme ils lui sont fidèles, l'auteur se défend pourtant bien de vouloir plaire.

«Quand j'écris, je ne pense jamais aux lecteurs. Ça choque un peu, mais je n'écris pas pour le monde. Si je voulais plaire, je me censurerais. J'me dirais: «Ça, ils n'aimeraient pas ça», et ça m'empêcherait d'écrire. Je n'aurais jamais écrit une pièce comme Fragments de mensonges inutiles (qui a été présentée chez Duceppe récemment) si j'avais pensé au public.»

«Comme dit Denise Filiatrault, «Je fais ce que je peux avec ce que j'ai». Je dis ce que j'ai à dire et tant mieux si le public apprécie. Ce qui fait qu'un roman ou une pièce vieillit bien, je pense, ce n'est pas juste l'histoire. Je raconte rarement des histoires excitantes, mais aussi longtemps que les lecteurs pourront s'identifier aux êtres humains qui sont les héros de mes romans, ça va marcher, en ce sens qu'ils vont être intéressés de savoir ce que ces personnages ont à vivre et à dire.»

Pour la première fois depuis longtemps, Tremblay n'a pas de projet d'écriture au théâtre. «Mais au contraire des romans, les pièces me tombent habituellement dessus et je les écris vite parce que ce sont des sujets qui m'intéressent. Et je dois trouver les personnages pour le raconter. Ça va très vite.»

«Les romans sont toujours plus longs à élaborer. Ainsi, entre le moment où j'ai pensé ajouter un quatrième livre à ma «trilogie» et le moment où j'ai accepté que l'éditeur l'indique sur le troisième, il s'est passé six mois.»

Tremblay passera encore l'hiver à Key West, partagé entre l'écriture, la peinture et ses amis. «Je partirai dans un mois, le lendemain du Salon du livre. Chaque année, je fais mon salon, tous les jours de midi à 21h, pour rencontrer mes lecteurs. Au théâtre, je sais qui est mon public; il me suffit d'assister à une représentation pour voir leurs réactions. Mais je ne sais pas où sont mes lecteurs.»

«Une fois par année, j'aime rencontrer ces gens qui, tout à coup, deviennent du vrai monde. Serrer des mains, avoir des témoignages, ça me rassure. J'ai encore besoin d'être rassuré que ces lecteurs existent vraiment et qu'ils aiment mes livres.»

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La traversée des sentiments. Michel Tremblay. Leméac/Actes Sud, 251 pages, 25,95 $.