Au tout début de ce roman noir, mais très noir, et très mexicain, on lit cet avertissement: «Pas vrai que dans la vie de chaque homme il y a cinq minutes noires?» Dans le polar de Martín Solares, jeune auteur né à Tampico, dans la région où se passe cette sombre histoire, il y a beaucoup plus que cinq minutes noires. Tous y passent, des truands comme des policiers honnêtes. Ce roman traite de la corruption légendaire de ce pays et n'épargne personne.

Cette année, le Mexique était le pays invité au Salon du livre de Paris, et les éditeurs ont sauté sur l'occasion pour sortir un maximum d'auteurs mexicains. Solares fait partie de cette fournée, mais il faut dire qu'il aurait été publié en français de toute manière, avec ou sans le Salon. Car l'histoire du Grizzli (Ramón Cabrera, de son vrai nom) qui enquête sur une série de meurtres crapuleux - les victimes sont de jeunes écolières - à Paracuán, une ville imaginaire sur le golfe du Mexique, pas loin du Texas, est aussi actuelle que les grand titres des journaux. On pense aux femmes disparues de Ciudad Juárez, on pense aux guerres entre les cartels de la drogue - et on est toute de suite dans l'atmosphère des Minutes noires.

Comme tout bon polar, ce roman commence par un meurtre. La victime s'appelle Bernardo Blanco, un journaliste qui suivait les multiples pistes de la corruption policière à Paracuán. On lui fait «la cravate colombienne» - la gorge tranchée, et la langue sortie par l'orifice. Bon, le ton est donné. Mais Solares ne fait pas que dans le sang et l'horreur. La violence est plutôt dans l'atmosphère et la tension sans pitié; tous luttent pour survivre et pour garder un peu de dignité humaine.

Voilà que le Grizzli entre en scène. Fataliste, il sait qu'il devrait ne pas toucher à la sale affaire des écolières tuées, car il soupçonne que quelque homme politique puissant se cache derrière les traits du meurtrier. Mais le désir d'aller jusqu'au fond de ce dont sa société est capable le pousse à enquêter là où il ne le devrait pas. Et il payera le prix...

Martín Solares a décroché un doctorat en littérature à la Sorbonne, ai-je lu dans les journaux, et ça ne m'a pas surpris. Il se plaît à jouer avec le roman policier, ses conventions et ses héros typiques, mais heureusement pour nous, il respecte assez le genre pour en avoir fait un bon. Car au-delà de ses capacités d'écrivain et de son amour pour le polar, sa vraie cible, c'est la corruption qui saigne à blanc son pays. C'est chaque citoyen qui passe des minutes noires, dans ce cas-là.

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Les minutes noires

Martín Solares, traduit par Christilla Vasserot Christian Bourgois, 468 pages, 39,95$.

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