À Madrid, en 1998, l'auteur rencontre une vieille dame qui désire lui raconter une histoire: «Je suis incapable d'écrire cette histoire, dit-elle, qui a bouleversé ma vie. La raison en est simple: c'est un secret que je n'ai voulu partager avec personne.» La dame raconte, toute la nuit, et c'est l'un des meilleurs romans d'Eduardo Manet, le Cubain naturalisé français, couvert de talents et de prix littéraires.

Nous voilà donc transportés dans une petite ville cubaine, Camagüey, chez de fortunés propriétaires terriens: chevaux, voitures luxueuses, domestiques nombreux. C'est l'époque des dictatures qui se sont succédé depuis la guerre d'indépendance (on se demande pour qui) dont le dernier avatar se nomme le général Batista, qui s'arrange pour faire pire, bien pire, que ses prédécesseurs: corruption partout, entreprises américaines avec esclaves noirs, prostitution générale, tout cela nous semble connu. Y compris le surgissement, dans la montagne, d'un petit groupe d'hommes venu du Mexique sur un rafiot, parmi lesquels deux frères, Raúl et Fidel Castro, qui ont décidé, avec un certain Guevara, de faire la révolution. C'est en 1959.

 

C'est avec Dolorès, la fille de la cuisinière, qui est sa seule amie, que la jeune fille de la maison s'enfuira dans les montagnes où les révolutionnaires de Castro se préparent à prendre le pouvoir. Un des intérêts évidents de ce récit de la vieille dame, c'est de nous montrer de l'intérieur ce que fut réellement la révolution cubaine où, pour la première fois depuis toujours, les ouvriers travaillaient pour leur existence, les illettrés envoyaient leurs enfants à l'école que l'on venait de construire dans la forêt, et où les gens, tous les gens, mangeaient suffisamment. Agréable de suivre ces changements tout en croisant le Che au coin d'un village récemment érigé et Fidel Castro se promenant en forêt entre deux interminables discours (six heures minimum).

Alors bien sûr, on s'en doute, cette jeune fille belle, blonde, instruite, racée, qui travaille durement à s'occuper des femmes et des enfants, surprise dans la montagne par Fidel, deviendra sa maîtresse. Un lider maximo peut-il s'attacher? En a-t-il le temps? La passion ne durera que quelques jours. Repris par sa vie de commandant de la Révolution, Fidel s'en ira recueillir dans l'île la ferveur populaire et entrera en héros à La Havane.

Le reste n'est que politique. Une telle révolution ne pouvait conduire qu'à des excès, et la pauvre famille riche de Camagüey ne pouvait que s'enfuir - en la personne de la mère qui laisse le mari à ses alcools et à ses voitures de course. La fille, elle, s'enfuira pour d'autres raisons, et son histoire sera celle de tous les exilés du monde. Avec un secret, cependant, que vous découvrirez sans peine. Curieuse et fameuse histoire, qui est aussi, peut-être, celle d'une passion trahie de l'auteur pour Cuba.

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La maîtresse du commandant Castro

Eduardo Manet Robert Laffont, 451 pages, 31,95$

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