Lulu a tout contre lui. Condamné pour violence conjugale, soupçonné d'agressions sexuelles contre des enfants et finalement recyclé en brigadier scolaire. Subtile, la police s'intéresse à lui, car un enfant de 12 ans est disparu, puis retrouvé violé et mutilé, mort.

La romancière Caroline Moreno, qui certainement ne ferait pas de mal à une mouche, s'est astreinte à la tâche douloureuse et délicate d'entrer dans la tête du monstre. Le mal, dont les variantes semblent infinies, plus que le bien qui est déjà abondamment répertorié, est «le moteur de l'histoire», selon Jean d'Ormesson cité en page liminaire. Il est le moteur aussi d'une littérature qui ne s'embarrasse pas d'une morale dont elle n'a que faire, visant plutôt l'exploration des arcanes les plus sombres de la nature humaine.

 

Avec la complicité de Mme Moreno, Lulu assume seul sa défense face aux policiers qui l'interrogent. En réalité, ils ne l'interrogent pas du tout. On devine qu'ils sont là, un homme d'abord qui n'en peut plus et qui cède sa place à une femme, mais Lulu seul a la parole, c'est-à-dire le pouvoir. Parfois il répond à une question, à une objection, à une remarque que l'on n'a pas lues et qu'on devine. Le procédé est terriblement efficace, puisque le suspect s'interroge lui-même, construisant et détruisant à sa guise le personnage qu'il veut imposer.

Sa logique est à ce point rigoureuse, les contradictions elles-mêmes se gommant les unes les autres, qu'on peut en arriver à croire qu'après tout le bonhomme est innocent et même inoffensif, même s'il professe envers tout le monde et toutes choses un cynisme pur et dur. La romancière l'a bien armé et il en profite largement. Il en résulte un discours, disons un monologue, percutant, d'une absolue rigueur, d'une précision clinique. Un seul personnage, mais parfaitement réussi.

Il fallait hélas qu'un chapitre vînt gâcher la stricte cohérence du roman. Certes, l'enfance de l'assassin a pu être difficile; tout autant, des criminels ont pu vivre des enfances heureuses. Revenu de tout mais pas de son passé, le protagoniste revisite ses premières années, adopte un langage supposément populaire et se met à dénoncer le manque d'amour dont il a été victime.

«Ma mère souhaitait pas ma naissance. Elle m'a pas désiré. C'est cet enfant-là que j'ai tué. C'est Lulu qui est mort.» C'est aussi et surtout un autre enfant, peut-être aimé celui-là, mais le remords n'atteint pas Lulu, porté par une haine incoercible: «On déformera les faits mais JAMAIS on ne m'enlèvera le plaisir que j'ai pris; le plaisir de terroriser; de frapper (...). Admirer l'oeuvre (...). Voilà. Le plaisir.»

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Le brigadier de Gosley


Caroline Moreno

Éditions Trois-Pistoles, 138 pages, 21,95$

**1/2