Avec Un coeur rouge dans la glace, l'écrivain Robert Lalonde explore les chemins sinueux de la quête à travers trois novelle.

À mi-chemin entre la nouvelle et le roman, la novella est un genre qui avait tout pour plaire à Robert Lalonde. «En principe, tout le monde est contre la nouvelle ou la courte histoire», affirme d'entrée de jeu l'auteur du recueil Espèces en voie de disparition.

 

«Pourtant, j'ai fait la preuve qu'un recueil de nouvelles pouvait se vendre mieux qu'un roman! Je me suis alors dit que j'avais intuitivement raison de croire que de se ramasser une histoire pendant une heure est une forme de lecture adaptée à notre vie moderne. Que ça convient aux gens qui perdraient le fil d'un roman dans la vie trépidante d'aujourd'hui et qui attendent d'être en vacances pour lire.»

L'auteur a donc imaginé trois récits autonomes, trois fictions autour de la quête d'un être disparu. «J'aime cette idée que les enjeux sont trop importants pour ne faire qu'un survol tout en refusant d'aller exhaustivement dans le contexte de chaque histoire, explique l'auteur. Cette forme évite de stopper le récit afin d'expliquer le pourquoi du comment, ce qui, comme lecteur, m'exaspère souvent.»

Toutefois, Lalonde ne se contente pas de ne pas prendre le lecteur pour un idiot. Il s'amuse cette fois à auréoler ses trois récits de brouillard, laissant ses protagonistes tâtonner dans leur propre battue. «Je suis fortement préoccupé par cette société où l'on est condamné à la cohérence, avoue l'écrivain. Et j'étais obsédé par cette idée que le surgissement d'un personnage - alors qu'on en cherche un autre - peut nous faire voir complètement différemment la démarche dans laquelle on est. Je lutte moi-même, dans ma vie courante, contre la ligne droite, le résultat visé, les moyens à choisir pour arriver à un but précis.»

«Je mets donc au défi le lecteur de s'embarquer dans cette forme où la condamnation à la cohérence dans laquelle nous sommes n'est pas forcément fatale, poursuit-il. La confusion que je voulais pour le personnage gagne certes le lecteur, mais elle lui démontre qu'on peut arriver ailleurs que là où on voulait aller et par un autre chemin que celui auquel on avait pensé.»

 

Éloge du désordre

Cette pensée rappelle la désinvolture devant l'éparpillement d'une Flannery O'Connor ou encore d'une Virginia Woolf, écrivaine que l'auteur cite d'ailleurs abondamment.

«En intégrant des écrivaines américaines dans mes trois récits, je montre effectivement ma parenté littéraire. Je me sens plus proche des auteurs anglo-saxons que des auteurs français qui dictent des théories sur l'incohérence plutôt que d'en faire l'expérience. Virginia Woolf n'explique pas, c'est... débrouillez-vous!»

Est-ce à dire que l'auteur aurait une parenté avec une littérature plus féminine? «Je me suis déjà fait dire ça et ça me réjouit. L'incertitude, le vertige, le vague, la non-nécessité d'avoir raison, qui sont des vertus que l'on apparente à la féminité, sont pour moi de grandes vertus littéraires. Je ne vois pas ce que je serais devenu comme auteur sans ces femmes écrivaines. Je n'aurais pas eu la permission d'être qui je suis comme narrateur si je n'avais été délivré par des auteures comme Virginia Woolf ou même Geneviève Brisac.»

Sans oublier Emily Dickinson. Car, outre la déviation des trajectoires propres aux personnages de Lalonde, la poésie se fraie ici une place de choix, laissant au lecteur le soin de découvrir une nouvelle et jouissive facette de l'écrivain. «J'ai une pudeur épouvantable en ce qui a trait à la poésie, lance Lalonde. Je crois que je situe la poésie tellement haut que je me retrouve un peu bancal. D'ailleurs, ici, c'est l'auteur de fiction qui se permet d'écrire de la poésie pour traiter de la transparence d'un personnage. Je suis, en quelque sorte, protégé.»

Poésie, embrouillement narratif, Robert Lalonde ne recule devant aucun tumulte de l'écriture, allant même jusqu'à intégrer dans ses récits une réflexion sur l'acte en lui-même. «Il y a un malentendu entre l'image que nous avons des écrivains, à travers les médias, et leur réel travail, déplore l'auteur. Je crois qu'il faut éliminer ce clivage et c'est peut-être un moyen d'y parvenir...»

__________________________

Un coeur rouge dans la glace

Robert Lalonde

Boréal, 248 pages, 22,95$