La Grande Guerre, celle de 14-18, dite aussi la sale guerre, celle des «poilus» dont les derniers survivants, morts centenaires, ont tous cassé leur pipe (cette guerre que Céline a faite et décrite dans Casse-pipe), elle en a provoqué des romans, livres, témoignages, films, masse d'archives; on pourrait dire qu'on en a ras le bol de cette guerre de nos arrière-grands-pères et pourtant non, c'est Tavernier (La vie et rien d'autre) après Renoir (La grande illusion), Philippe Claudel (Les âmes grises) après Barbusse (Le feu) et aux témoins directs, comme Dorgelès (Les croix de bois), succèdent les relayeurs de mémoire car cette guerre-là, empoigne physique entre hommes, d'embuscades en tranchées, dans la boue et le sang, avec des photos de mère près des coeurs, ne peut être oubliée.

 

Voici une occasion d'y revenir, de la retraverser avec un témoin direct qui, à 19 ans, la fit de fond en comble, si je puis dire, mobilisé dans l'infanterie en août 1914, blessé en 1915, renvoyé au front en 1916 pour y demeurer jusqu'en novembre 1918. Il s'appelle Gabriel Chevallier, né en 1895 à Lyon, fils de notaire qui faisait ses beaux-arts quand l'appel sonna. Gabriel Chevallier, ça ne vous dit rien? L'homme est mort à Cannes en 1969. Il fut célèbre pour autre chose que ce roman, La peur, dans lequel il témoigna de la boucherie que fut cette guerre, roman oublié que l'on réédite.

Gabriel Chevallier, c'est l'auteur de Clochemerle, célèbre roman comique, une pantalonnade villageoise dont le titre est devenu une expression du parler commun («c'est Clochemerle») désignant un conflit local qui prête à sourire... Écrit en 1934, quatre ans après La peur, Clochemerle a écrasé ce que Chevallier a écrit avant ou après. Succès monstre. Traduit en 30 langues.

Un éditeur rend justice au soldat Chevallier, au poilu de naguère. Le Dilettante republie La peur et, sans que ce roman soit de la grande littérature, sa lecture est d'un grand intérêt. Loin des chroniques de courage, ce roman fouille au coeur de celui qui a peur, qui hallucine sa mort, qui ramasse et pleure. «Je vais vous dire la grande occupation de la guerre, la seule qui compte: J'AI EU PEUR», fait-il dire à son narrateur. Une guerre qui avait commencé comme une fête, «dans une odeur d'absinthe fraîche», car les garçons qui allaient la faire ne savaient rien de la guerre, la précédente (celle de 1870) datant de plus de 40 ans.

Puis ce sera le premier cadavre «qui semblait rire», les premiers cris de mourants: «dans ces cris, nous reconnaissons les cris que nous portons en nous». Lecture costaude, allégée de reparties: «L'homme qui fuit conserve sur le plus glorieux cadavre l'inestimable avantage de pouvoir encore courir!».

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La peur

Gabriel Chevallier Le Dilettante, 351 pages

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