Alexandra Lapierre, dans ses magistrales biographies d'Artemisia Gentileschi et de Fanny Stevenson, nous a fait découvrir des personnages au destin extraordinaire qui, sans elle, seraient sans doute restés dans les limbes de l'histoire. C'est le cas cette fois encore avec Djemal-Eddine Shamil, fils d'un redoutable imam tchétchène qui se bat pied à pied contre l'envahisseur russe.

Le jour où pourtant l'imam doit se soumettre, il accepte, en garantie de sa bonne foi, de remettre à l'ennemi son fils aîné, qui n'a que 8 ans. Or, le tsar Nicolas 1er s'intéresse personnellement à l'enfant, qu'il fait instruire dans les meilleures écoles militaires tout en l'encourageant à conserver sa foi et sa culture. Ce que l'enfant prend pour de la bienveillance n'est qu'un calcul, car le tsar compte faire de lui l'instrument de sa reconquête du Daghestan. Djemal-Eddine, déchiré par d'intenses conflits de loyauté, met des années à s'acclimater enfin à la vie russe, qu'il finit par embrasser pour de bon quand son amour pour une jeune aristocrate lève les dernières barrières. Il a 24 ans lorsque, une fois de plus, il sert bien malgré lui de monnaie d'échange: on le renvoie à son père contre la libération de plusieurs otages russes. De nouveau déraciné, parmi ces rudes montagnards avec qui il n'a plus rien en commun, il mourra de maladie peu de temps après ce nouvel exil, rejeté par son père, haï par son frère, qui le considèrent comme un traître alors qu'il n'aura été, toute sa vie, que le jouet d'un destin trop grand pour lui. Alexandra Lapierre, qui s'est manifestement prise d'une grande affection pour son sujet, la partage avec sensibilité dans un ouvrage minutieusement documenté et puissamment évocateur. 

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Tout l'honneur des hommes

Alexandra Lapierre

Plon, 487 pages, 39,95$

***1/2