Des fugitives, les femmes de ce recueil de nouvelles. Mais Alice Munro, septuagénaire et futée comme tout, sait qu'une histoire d'évasion dans laquelle l'évadée ne s'échappe qu'à moitié a bien plus de possibilités dramatiques qu'une simple histoire de libération. Dans l'univers de Munro, on ne va jamais très loin, et la liberté est toujours conditionnelle.

Alice Munro a gagné à peu près tous les prix pour ses nouvelles. Dans la tradition anglo-saxonne, la nouvelle met en scène un moment de révélation pendant lequel les personnages ont un éclair de conscience avant la dernière page. Ce n'est pas si simple chez Munro. Souvent, ses femmes en fuite ne font que rentrer au bercail après leurs tentatives d'aventure. Non pas qu'elles aient échoué - la liberté n'est tout simplement pas pour elles. D'où l'atmosphère un peu claustrophobe de ce recueil.

 

La première nouvelle, «Fugitives», suit tout à fait ce scénario. Carla, une jeune femme qui s'occupe de chevaux avec son mari Clark, ne vit ni dans le bonheur ni dans le malheur. Pourtant, son amie Sylvia décide que le moment est arrivé: Carla doit quitter son mari et sa campagne ontarienne pour mener une nouvelle vie à Toronto, et Sylvia sera l'architecte de la nouvelle vie de Carla. Elle prend l'autocar, mais après quelques arrêts, elle met fin à sa propre fuite. Carla a-t-elle manqué de courage, ou a-t-elle compris que sa vie n'était pas si désagréable? Alice Munro laisse la porte ouverte.

On parle du sud-ouest de l'Ontario comme du «pays d'Alice Munro». Ses nouvelles prennent souvent racine dans cette atmosphère répressive très anglo-saxonne. Les femmes de Munro ont plus de velléités de révolte qu'elles n'affichent une rébellion déclarée.

On peut lire le titre de la nouvelle «Passion» comme une ironie. Grace et Maury se dirigent vers le mariage, mais il leur manque quelque chose. «C'était la chose qui n'était pas arrivée» écrit Munro. «Dans la voiture de Maury, ou dans l'herbe sous les étoiles, elle était prête à se donner. Et Maury avait envie d'elle mais ne voulait pas la prendre. Il s'estimait responsable de sa protection.» Leur relation ressemble à un dialogue de sourds. Chacun croit connaître l'autre, chacun vit dans l'ignorance, chacun est soulagé de se retrouver seul à la fin de la soirée pour préserver son idée de l'amour. On imagine le genre de mariage que fera ce couple...

Parfois Munro quitte son Ontario natal pour aller sur la côte du Pacifique, comme dans la nouvelle «Silence». La jeune Penelope a trouvé refuge dans une secte, et sa mère se lance à ses trousses. Un scénario qu'on connaît, direz-vous. Sans doute, mais Alice Munro a le talent de peindre des paysages intérieurs qui vont au-delà de ses mises en scène parfois tranquilles.

Fugitives

Alice Munro traduit par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso

***1/2