Cette semaine, Stephen Harper a annoncé un resserrement des règles pour les jeunes contrevenants. De nombreux experts ont dénoncé cette approche et souligné que la criminalité est en chute libre au Canada depuis une quinzaine d'années.

En fait, elle décline régulièrement depuis près de 800 ans en Occident, affirme Robert Muchembled. L'historien français est de passage à Montréal ce week-end pour promouvoir son dernier livre, Une histoire de la violence.

 

«À partir du XVIIe siècle en particulier, la violence a été graduellement poussée dans ses derniers retranchements», explique M. Muchembled, qui enseigne aux universités Paris-Nord et Ann Arbor, à Detroit. «On a commencé par interdire les armes, puis les bagarres dans les endroits publics. On s'est tourné vers la violence domestique. Et maintenant, avec la lutte contre les incivilités dans les villes de banlieue en France, on criminalise les actes antisociaux des jeunes qui ne parviennent pas à trouver leur place dans la société.»

Pour l'historien parisien, la violence résulte avant tout de la tension entre les adultes bien installés aux commandes de la société et les jeunes hommes qui cherchent à y faire leur chemin. «Le contrat est simple: les jeunes hommes respectent la propriété, les femmes et les filles de leurs aînés, et, en échange, ils ont peu à peu accès aux avantages dont jouissent ces derniers. Mais en temps de crise, l'accès à ces avantages est bloqué, ou à tout le moins ralenti. Il y a donc rupture de contrat et des explosions de violence. Comme cette dernière est de moins en moins tolérée, elle peut de plus en plus trouver des échappatoires acceptables pour s'exprimer.»

M. Muchembled donne l'exemple du hooliganisme. Selon lui, il donne lieu à des combats codifiés qui servent d'exutoire, où l'important n'est pas de blesser ou de tuer mais de dominer un adversaire. Les armes sont très peu souvent impliquées, et les hooligans s'en prennent généralement aux autres hooligans, souligne-t-il.

L'emprisonnement est-il une solution? «Non, je ne crois pas qu'on puisse trouver des exemples historiques où ç'a été la solution à un problème de criminalité. Il faut toujours ouvrir la société. C'est probablement pour cette raison que les États-Unis ont moins de problèmes de bandes de jeunes que la France: le taux de chômage américain est assez bas pour que les jeunes puissent trouver du travail. D'un autre côté, la criminalité européenne est de six à sept fois moins élevée qu'aux États-Unis essentiellement parce qu'on y a désarmé la jeunesse.»

M. Muchembled donne l'exemple deux vagues de violence pour illustrer comment l'ouverture de la société aux jeunes peut endiguer la criminalité. «Vers 1910, il y avait en France des bandes violentes appelées les Apaches. On peut penser que ce trop-plein de jeunes a été effacé par la Grande Guerre. Et les bandes de Blousons noirs des années 60 sont disparues quand le trop-plein de jeunes hommes issus du baby-boom a été absorbé par la croissance économique.»

Les deux derniers livres de M. Muchembled, qui étudie l'histoire de la violence depuis 40 ans, portaient sur le diable et l'orgasme. Y a-t-il un lien? «On peut voir l'endiguement de la violence chez les jeunes comme une tentative d'endiguer leur désir sexuel. Et le diable, la menace de l'enfer, était un instrument important de contrôle de la population, tant au plan de la sexualité que de la violence et du respect des dirigeants et de la propriété.»

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UNE HISTOIRE DE LA VIOLENCE

Robert Muchembled Seuil, 499 pages, 39,95$