L’intelligence artificielle (IA) peut certes servir à accompagner la production littéraire, mais ce qui préoccupe surtout les maisons d’édition reste l’épineuse question des droits d’auteur, très flottante face à cette technologie naissante, celle-ci puisant dans des contenus préexistants. Décortiquons ces enjeux avec Stéphanie Hénault, directrice des affaires juridiques de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL).

Non, ChatGPT ne crée pas du texte à partir du néant ou d’une forme d’imagination électronique. Il sonde, collecte et ordonne une quantité phénoménale de données et d’informations à sa disposition pour produire sa poutine numérique. Dans le lot, des contenus protégés par le droit d’auteur pourraient être exposés et exploités. À ce jour, au Canada, des mécanismes de protection juridiques sont en discussion au gouvernement, avec le projet de loi C-27, visant à encadrer ce buffet à volonté.

PHOTO LOUIS-CHARLES DUMAIS, FOURNIE PAR L’ANEL

Stéphanie Hénault, directrice des affaires juridiques de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL)

L’intelligence artificielle fait appel à des contenus pour alimenter ses systèmes. Il nous importe, qu’il s’agisse de textes ou d’illustrations, qu’elle soit alimentée par des œuvres pour lesquelles on a obtenu l’autorisation des titulaires de droit, ou qui sont déjà disponibles publiquement.

Stéphanie Hénault, directrice des affaires juridiques de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL)

Un objectif loin d’être chimérique, puisque de l’autre côté de l’Atlantique, un tel encadrement a été tissé, baptisé AI Act. Ce dernier sert d’ailleurs d’inspiration à ceux réclamant une meilleure protection au Québec.

« Dans le contexte du projet de loi C-27, qui serait un peu l’équivalent de l’AI Act européen, on travaille fort pour soumettre rapidement des propositions afin que le Canada soit au moins aussi respectueux que l’Europe des ayants droit » face à l’ogre numérique, espère l’avocate.

Droit dans le mur ?

Stéphanie Hénault relève ainsi une certaine inquiétude dans le milieu de l’édition québécois par rapport au respect du droit d’auteur, tout comme ailleurs, évoquant par exemple les poursuites lancées par le New York Times contre les IA venues se servir dans son contenu journalistique. « C’est sûr que les éditeurs doivent être attentifs à tous les niveaux », soutient Renaud Roussel, codirecteur des Éditions du Boréal, rappelant qu’au-delà des auteurs, bien des métiers du milieu pourraient être concernés par l’essor de l’IA : réviseur, traducteur, éditeur, et autres.

La présidente de Québec Amérique, Caroline Fortin, se montre également préoccupée. Au cours de sa visite annuelle à la foire du livre de Londres, où sa maison d’édition achète et vend des droits sur des œuvres, un partenaire d’affaires de longue date l’a abordée, en quête de contenus francophones pour alimenter une intelligence artificielle. « Là, j’ai une retenue. Je me pose des questions, mais je n’ai pas de réponses. Et je me dis : “On est au début, mais on s’en va où ?” C’est ça qui me fait peur. »

Concernant les mécanismes pour contraindre les IA à respecter le droit d’auteur, on entrevoit notamment l’obligation de rendre publics les registres de contenus servant à alimenter leurs systèmes. En somme, un impératif de transparence totale vis-à-vis des œuvres utilisées, tel qu’on le retrouve dans l’IA Act européen.

À l’ombre du plagiat

Nous avons demandé à Me Stéphanie Hénault quels sont les risques que courent les écrivains ou les illustrateurs qui souhaiteraient se servir d’une IA dans le cadre d’une création littéraire, étant donné qu’une partie de la matière malaxée par le logiciel pourrait être protégée par le droit d’auteur. « Si j’étais un auteur, je serais vraiment prudent par rapport à l’utilisation de cet outil », prévient-elle. « Il pourrait être considéré comme l’auteur [d’une nouvelle œuvre] si son acte de création satisfaisait ou dépassait les critères d’originalité énoncés par la jurisprudence. Pour résumer, son œuvre devrait être considérée comme le produit de l’exercice de son talent et de son jugement. En outre, si le résultat de son utilisation de l’IA plagiait l’œuvre ou une partie substantielle de l’œuvre d’un autre, il s’exposerait à des poursuites en contrefaçon, une autre illustration de la nécessité d’entraîner les modèles d’IA de manière responsable », conclut-elle.