Un laboratoire de recherches ultra-secrètes dans une île du fleuve Saint-Laurent, en 1942, où des scientifiques étudient la transmission des virus par les insectes. Des nuées de frappabords qui envahissent la région de Montmagny à l’été 2024, alors qu’une canicule sans précédent frappe le Québec, en proie à une montée fulgurante des cas de violences.

Inspiré de faits historiques, le nouveau roman de Mireille Gagné, Frappabord, prend par moments l’allure d’un cauchemar éveillé. Terriblement inquiétant, mais furieusement captivant.

« Moi-même, en l’écrivant, je me suis sentie écoanxieuse », lance entre deux rires l’autrice du Lièvre d’Amérique, jointe à Québec, où elle habite.

Raison de plus pour s’inquiéter, ajoute-t-elle, c’est qu’une semaine après avoir terminé son titre précédent, Bois de fer, où elle écrivait que son arbre se faisait élaguer, la fiction est devenue réalité. Puis après avoir écrit sur la mort de son père, celui-ci a rendu l’âme. « Plein d’affaires sont arrivées. Sérieusement, si les punaises de lit en France se mettent à transmettre des virus, je n’écris plus jamais ! », dit-elle avec humour.

Un avertissement

Mais blague à part, pourquoi avoir choisi d’orienter un pan de son roman vers un avenir proche qui risque de virer à la catastrophe ?

« C’est comme un avertissement, en fait. »

On a eu l’année la plus chaude, il y a beaucoup de dérèglements climatiques, on n’a jamais vu ça. Je voulais qu’on en prenne conscience, puis qu’on agisse. Comme un tic-tac oppressant.

Mireille Gagné, autrice

Tout a commencé par sa volonté d’écrire sur Grosse-Île, ce petit bout de terre dans le fleuve Saint-Laurent qui a accueilli un laboratoire de guerre dans les années 1940, après avoir servi de lieu de quarantaine pour les immigrants irlandais. Et dont elle avait entendu l’histoire par sa mère, qui s’était installée à L’Isle-aux-Grues dans les années 1970.

Dans la région, tout le monde connaissait quelqu’un qui avait travaillé dans ce fameux laboratoire reconverti après la Seconde Guerre. Mais à cause des ententes de confidentialité qui étaient signées, personne ne savait réellement ce qui s’y passait, explique Mireille Gagné. « Je suis allée interroger les enfants, les petits-enfants de ces gens-là. Il y en a qui me disaient : “On n’a jamais su si c’était vrai, ce que mon grand-père racontait” », dit l’autrice, qui a aussi publié de la poésie et des nouvelles au cours de la dernière décennie.

PHOTO ROCKET LAVOIE, LE QUOTIDIEN

Mireille Gagné au centre culturel Morrin Centre, dans le Vieux-Québec

Dans la tête de la mouche

Arrive alors le mois de juin ; Mireille Gagné décide de louer une yourte pour quelques jours à L’Isle-aux-Grues, avec l’idée de s’isoler pour écrire. « J’étais à l’extérieur avec une dizaine de frappabords qui me harcelaient royalement, pas capable d’écrire. Je me suis dit : mais qu’est-ce qu’ils veulent ? »

C’est à ce moment-là que lui est venu le premier chapitre du livre : elle s’est mise dans la tête d’une mouche et sa voix est rapidement devenue l’une des trois tonalités du roman.

Le frappabord s’est installé dans mon imaginaire, puis j’ai commencé à avancer dans le livre en liant les deux.

Mireille Gagné, autrice

La romancière découvre par ailleurs, au fil de ses recherches, que les chercheurs du laboratoire de guerre s’étaient penchés sur la possibilité que les mouches de Grosse-Île aient été des vecteurs de transmission de l’anthrax. Ce qui pourrait bien expliquer l’origine des cas de contamination qui ont été répertoriés. Il y a des familles de Grosse-Île qui ont toujours fait face à des réalités de virus, souligne-t-elle, depuis l’époque où une partie de l’île accueillait les immigrants en quarantaine.

Aujourd’hui, des circuits touristiques et des guides permettent aux visiteurs de remonter dans le temps pour découvrir une partie de l’histoire des lieux. Mais peut-être que, hors des sentiers battus, il reste encore quelque chose de ce passé méconnu, avance-t-elle. Des descendants de ces mouches sur lesquelles des expériences ont été menées et qui pourraient faire surface à un moment ou à un autre pour envahir la province...

« En faisant parler le frappabord, c’était ce fantasme aussi de faire parler la nature, qui doit clairement être en colère de nous voir agir ainsi. On détruit nous-mêmes notre propre environnement ; on est la seule espèce qui est capable de faire ça. Si je me mettais dans la peau de la nature, je me dirais qu’elle doit tellement nous trouver stupides. C’est ce constat-là qui m’a amenée à réfléchir. »

Un constat, pourrait-on ajouter, qui est aussi frappant qu’une morsure de mouche à chevreuil.

Frappabord

Frappabord

La Peuplade

216 pages