Beyoncé n’aura jamais la chance de Vincent Vallières. Quelle chance ? Celle de s’imprégner du quotidien des villes et villages où s’est arrêtée sa plus récente tournée, un long itinéraire en solitaire duquel il rapporte Du bitume et du vent, son premier livre.

« C’est comme dans Volkswagen blues que tu lis en chemin/ sauf que nous autres on court après rien », chantait Vincent Vallières il y a maintenant 20 ans dans OK on part, une de ses plus galvanisantes chansons à écouter les fenêtres baissées.

Mais cette fois-là, celle qu’il raconte dans Du bitume et du vent, Vallières courait bel et bien après quelque chose. Non pas après son frère, comme dans le roman culte de Jacques Poulin, mais après quelque chose de plus évanescent, mais aussi d’essentiel. Espérance : c’est le dernier mot du livre et c’est sans doute le plus important.

Son plus récent album s’intitulait Toute beauté n’est pas perdue et le musicien cherchait manifestement à confirmer, dans le réel, la conviction que contenait ce titre. La confirmer dans le paysage, dans le regard de la serveuse d’un café et dans ces longues heures passées avec lui-même, au volant de sa voiture, sur les routes qui s’étirent de cette vaste province, en direction de Chicoutimi, Matane, Natashquan, Victoriaville ou Hull.

Construit à partir des carnets qu’il a publiés en ligne durant sa plus récente tournée en solo, ce magnifique premier livre cartographie le territoire québécois, un spectacle et une rencontre à la fois. « C’est précieux, ce que j’ai vécu, c’est une grande chance que j’ai », observe Vallières en entrevue.

Beyoncé n’aura jamais la chance d’aller s’asseoir dans un café, deux œufs, bacon, tranquille, et de jaser avec le gars qui te parle de sa business, de sa vie, de sa ville.

Vincent Vallières

Les liens les lieux

Voici un livre sur le territoire et le mouvement, donc, mais aussi sur le temps, comme c’est le cas de tant de refrains de Vincent Vallières. Sur le temps qui burine le visage des gens et des villes où il revient une fois par run de lait, depuis maintenant près de 25 ans.

Et sur le temps qui accouche de nouveaux visages : à Sudbury, l’animateur Éric Robitaille présente à l’auteur-compositeur les deux enfants qu’il a conçus avec une fille qui lui est tombée dans l’œil lors d’un de ses premiers spectacles dans le nord de l’Ontario.

« Chaque lieu est indissociable des rencontres qui l’ont habité », écrit Vallières qui, entre ces pages, est à la fois diariste, philosophe et un peu humoriste. « L’un magnifie l’autre, ils deviennent à jamais indivisibles dans ma mémoire. »

Tout ça grâce à la musique, qu’on se dit tous les deux, soudainement émus. Transparence totale : le nom de votre journaliste apparaît quelque part dans Du bitume et du vent, au détour d’une liste de « chroniqueurs culturels qui vivent pour la muse ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Vincent Vallières a construit Du bitume et du vent à partir des carnets qu’il a publiés en ligne durant sa plus récente tournée en solo.

Ce n’est pas banal, la musique, il ne faut jamais l’oublier. L’amour de mes filles pour Taylor Swift, ce n’est pas une joke, c’est sérieux, c’est contagieux.

Vincent Vallières

À mesure qu’il s’enfonce sur les routes, c’est aussi en lui que le gars de 45 ans descend, les détours nombreux de la chaussée devenant le miroir de ses propres doutes et questionnements. Si Serge Bouchard avait été un chanteur folk, c’est fort probablement le livre qu’il aurait écrit.

« À l’époque de Chacun dans son espace [2003], l’objectif, c’était de virer la place à l’envers, d’être avec mes chums, dans l’amitié et le bruit des guitares, se rappelle-t-il. Je me couchais en pensant aux gens qui avaient chanté les tounes pendant le show. Je n’en étais pas encore à réfléchir aux contrecoups de la fin des grandes industries que vit la ville où je joue. Je n’en étais pas encore là dans mon parcours et mon ego. »

« Mais ça fait tellement de bien d’aller voir le monde à partir du point de vue de l’autre, ajoute-t-il. On sait tous à peu près ce qui se passe avec la fonderie à Rouyn-Noranda, par exemple, mais quand t’es dans le quartier Notre-Dame et que tu vois la jeune maman qui pousse son bébé, tu comprends les choses différemment. »

En visite à Mani-utenam, chez les Innus, un des chapitres les plus comiques et bouleversants, l’homme blanc né à Sherbrooke se demande comment il est possible de faire le métier qui est le sien et de croiser si peu de représentants des Premiers Peuples. « Et la réponse, c’est que nos univers sont encore cloisonnés. C’est douloureux de le dire, mais c’est la réalité. »

Ça ira, ça ira ?

Les enfants Vallières sont désormais grands. Il renouait ainsi pendant cette tournée avec le luxe de ne pas devoir se presser de rentrer au bercail, d’écouter beaucoup de musique dans son char et de ruminer ces histoires, cocasses ou graves, récoltées un peu partout au Québec et au Canada français chez ces gens qui, comme lui, s’entêtent à penser que le meilleur n’est pas mort.

Il les observe, ému, transformer des usines désaffectées en microbrasserie et des églises en salle de spectacle. Si bien que l’on finit par croire, nous aussi, que ça ira, ça ira – peut-être – malgré l’inflation, la polarisation et une apocalypse écologique qui semble ben plus proche qu’avant.

Vincent Vallières rentre à la maison avec, dans ses étuis de guitare, un peu de ce qu’il faut pour apaiser ses inquiétudes face à l’avenir, « mais la réponse qu’offre la route est dans les nouvelles questions qu’elle nous permet de formuler, dit-il, et dans la capacité qu’on y trouve à écouter l’autre dans ses réponses ».

Du bitume et du vent

Du bitume et du vent

Mémoire d’encrier

255 pages