Le 28 juin 1962, Bob Dylan, 21 ans, présentait son premier spectacle à Montréal devant une dizaine de personnes. À la veille de sa visite dimanche soir à la Place des Arts, un des témoins de ce moment historique, Peter Weldon, se souvient.

Juin 1962. Une amie de Peter Weldon, récemment installée à New York, lui passe un coup de fil avec un message important, presque une exhortation. Tu ne dois pas manquer le spectacle de ce gars, lui dit-elle. Ce gars ? Bob Dylan.

L’icône en devenir, 21 ans, vient de lancer, en mars, un premier album, ayant généré peu d’échos. À l’extérieur des frontières de Greenwich Village, la star du Gaslight Cafe est essentiellement inconnue. Terri Van Ronk, sa première gérante, entreprend de lui organiser quelques visites dans d’autres villes, dont une résidence de quatre soirs au Pot Pourri, une librairie marxiste doublée d’une petite salle de spectacle, située au 1430, rue Stanley, au centre-ville de Montréal.

En 1962, Peter Weldon, la mi-vingtaine, est bien branché sur la musique de son époque, riche en révolutions, petites ou grandes. Dans leur salon d’Outremont, ses parents offrent souvent le repas et le logis à des musiciens de passage, comme le bluesman Big Joe Williams. C’est dans ce même salon qu’il joue du banjo et de la guitare avec son ami Jack Nissenson. Ils formeront en 1963 le Mountain City Four avec Kate et Anna McGarrigle.

Ils sont là, tous les quatre, au Pot Pourri, pour la première performance de Dylan, le 28 juin 1962. « Il y avait nous et environ six dames qui ressemblaient à des membres d’un club de bridge », raconte Peter Weldon, 85 ans, dans son appartement de Westmount où il vit avec sa compagne, Jane McGarrigle, et où s’entassent les instruments, les livres et les disques.

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Peter Weldon

Mais que faisaient-elles là, ces dames ? « C’est comme si elles avaient voulu venir jeter un œil au sombre ventre de la scène folk », explique notre hôte, encore ahuri, plus de 60 ans plus tard, par cette improbable présence.

« Et le pire, c’est qu’elles ont parlé pendant tout le début du set, jusqu’à ce que Dylan se penche vers elles avec un de ces sourires baveux pour leur demander ironiquement : “ Mesdames, à quelle école secondaire étudiez-vous ? ” Elles se sont immédiatement tues et l’ont regardé pour le reste de la soirée comme un lapin regarde un serpent. »

S’il n’adresse plus du tout la parole à son public depuis plusieurs décennies, Dylan est à l’époque très loquace. « C’est une des personnes les plus drôles qu’il m’a été donné de voir », se rappelle Peter Weldon, qui a fait carrière comme professeur au département de physiologie de l’Université McGill, mais dans la vie de qui la musique n’a jamais cessé de tenir le rôle principal.

Il jouait avec sa casquette, il accordait sa guitare et il enfilait les phrases saugrenues [non sequiturs] les unes après les autres. C’était presque la moitié de sa performance. Il avait une présence comme on en voit peu. C’était juste impossible de regarder ailleurs.

Peter Weldon

Un enregistrement pirate

Selon Peter Weldon, Bob Dylan aurait essentiellement offert ce soir-là le même répertoire que lors de son spectacle du 2 juillet 1962, au Finjan Club, dont quelques chansons qui n’aboutiront jamais sur des albums officiels, des arrangements de standards de blues (Muddy Waters, Robert Johnson), de folk et de country (Jimmie Rodgers), ainsi que le classique Blowin’in the Wind, qu’il fera paraître en 1963 sur son mythique deuxième disque, The Freewheelin’Bob Dylan.

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C’est qu’après ses quatre soirs au Pot Pourri, pour lesquels il aurait été payé 125 $, le chanteur accepte l’invitation de Shimon Ash de se produire dans son Finjan Club, au 5650, rue Victoria. Son cachet ? 12 $ et la possibilité de séjourner pendant deux semaines chez le propriétaire, avant de rentrer à New York. Une cinquantaine de clients y assistent.

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Peter Weldon

L’ami de Peter Weldon, Jack Nissenson, est à nouveau présent ce lundi soir. Et il apporte au Finjan son vieil enregistreur à rubans, qu’il place juste devant l’artiste. L’enregistrement pirate, d’une qualité sonore exceptionnelle, compte aujourd’hui parmi les plus célèbres bootlegs de Dylan — vous le trouverez aisément sur YouTube.

Nissenson n’avait même pas eu besoin de demander la permission au jeune Zimmerman avant de placer sa machine devant lui. « Dylan adorait être enregistré. Tout ce qu’il voulait, c’est se faire entendre », explique Peter Weldon, qui a pour sa part raté ce spectacle, parce qu’il accompagnait au banjo et à la guitare le chanteur folk Alan Mills et le violoniste Jean Carignan au Festival de la patate de Grand Falls, au Nouveau-Brunswick. « Ça demeure un des grands regrets de ma vie. »

Comment l’enregistrement a-t-il essaimé partout sur la planète ? « On ne l’a jamais su », répond M. Weldon, dont l’ami Jack nous quittait en 2015. « On s’est longtemps échangé l’enregistrement entre nous, et je ne peux que présumer qu’il l’a un jour prêté à quelqu’un qui en a fait une copie. Jack était un fervent communiste qui pensait que tout le monde devrait tout partager. »

Bob Dylan sera à la salle Wilfrid-Pelletier, le dimanche 29 octobre, dans le cadre de la tournée Rough and Rowdy Ways.