Dans Un lac le matin, l’écrivain Louis Hamelin a donné vie au mythique penseur américain Henry David Thoreau. Nous lui avons demandé ce qui l’a guidé dans ce roman contemplatif, qui parle de notre rapport présent et passé avec la nature.

Qu’est-ce qu’on peut raconter sur Thoreau qui n’a pas déjà été dit ?

Il y a eu beaucoup de choses écrites sur Thoreau, mais à ma connaissance, très peu de romans. Il a une figure de saint homme laïque dans la culture américaine, et mon défi de romancier était de faire vivre cette histoire, de mettre de la chair et du sang, d’en faire un personnage vivant. Je pense que je suis le premier à oser lui donner un sexe. Tout philosophe et poète qu’il soit, c’était un jeune homme de 28 ans. J’avais envie de lui donner des émotions, des sensations. Et même des émois amoureux et sexuels. Thoreau est une icône de la culture américaine et pour un Québécois, il y a un défi considérable à s’approprier ce personnage. Son amitié avec un bûcheron canadien-français appelé Alex Therrien, qui n’avait jamais été racontée, a été mon fil conducteur et ma porte d’entrée dans son univers.

Où que l’on regarde dans l’histoire de l’Amérique, il y a un Canadien français ?

Oui. C’est la présence du français et du canayen à la grandeur de l’Amérique. À cause de Therrien, l’histoire de Thoreau nous appartient aussi, en fait, tout comme l’histoire de la conquête de l’Ouest nous appartient par la présence de trappeurs comme Étienne Provost.

L’idée était donc d’aller au-delà du mythe ?

Oui. Comme une statue, il y avait des mythes à déboulonner. Quand Thoreau est parti vivre deux ans, deux mois et deux jours dans sa cabane au bord du lac Walden, son projet n’était pas comme on le pense de vivre en autarcie. Ce à quoi Thoreau réfléchit, c’est l’empreinte écologique, le rapport à la nature, et la question que pose son chef-d’œuvre Walden : de quoi a vraiment besoin un homme pour vivre, dans le fond ? On lui a reproché d’aller manger chez ses amis, dans sa famille. Mais il n’a jamais prétendu se couper du monde ! Il avait d’ailleurs pas mal de visiteurs sur le bord du lac. Ce n’était pas l’idée de la survie, plus une déclaration d’indépendance et de modestie, qu’on a appelée par la suite la simplicité volontaire.

Ce livre est le deuxième d’une trilogie sur les naturalistes américains. Comment s’inscrit-il par rapport au premier, Les crépuscules de la Yellowstone, qui portait sur Audubon ?

C’est un cap important, l’expérience de Thoreau. En 1843, vous avez Audubon qui s’en va dans l’Ouest américain. Il est un naturaliste à l’ancienne, dont la méthode de cueillette d’échantillons est de tirer sur tout ce qui bouge. Deux ans plus tard, dans l’Est, on a ce jeune homme qui décide d’aller vivre dans sa cabane, qui lui aussi se considère comme naturaliste, et qui a déjà une tout autre vision de la nature. Il va devenir le précurseur de ce qu’on pourrait appeler la pensée écologiste moderne. C’est probablement le premier véritable écologiste nord-américain.

PHOTO JOCELYN RIENDEAU, LA TRIBUNE

Louis Hamelin

Qu’est-ce que nous dit Thoreau en 2023 ?

Une chose importante, la liberté de penser par soi-même. Thoreau nous dit entre autres qu’il faut avoir des convictions, et être capable de les défendre. Ça garde une pertinence à notre époque où, de toutes sortes de façons plus ou moins insidieuses, on voit ressortir des formes de censure, d’autocensure.

Ce livre est peut-être votre plus contemplatif. Il a été écrit en grande partie pendant la pandémie. C’était apaisant, ce voyage dans la nature de la Nouvelle-Angleterre ?

C’est sûr que oui... Je vis en ville maintenant, et ce contact avec la nature, je le gardais par mes promenades en forêt, et aussi à travers mon rapport avec Thoreau. Au début, je ne trouvais pas ça facile... Une expédition en bateau à vapeur, en canot et à cheval, comme Audubon, c’est une épopée qui se raconte bien. Là, je devais raconter un séjour en bonne partie contemplatif et c’était un défi d’écriture. Il fallait accompagner le personnage qui marche en forêt, qui ouvre ses sens à la réalité et la nature qui l’entoure. Imaginer les rêveries qui défilent dans sa tête. Par rapport à notre monde pressé, j’envie cela à Thoreau, qui pouvait passer des heures à laisser dériver son esprit en écoutant les oiseaux chanter.

Il avait moins de sources de distraction, aussi !

Oui, et moins de bruit et de pollution lumineuse. Un des buts de ce livre, comme celui sur Audubon, est de mettre en lien deux époques et de constater le chemin parcouru, avec le positif et le négatif. Il n’y a pas que des inconvénients à vivre dans une société avancée, je ne veux pas idéaliser le passé, mais toute mon idée avec cette série est de réfléchir à nos rapports avec la nature. Alors la pandémie qui fait une apparition dans un livre sur Thoreau, c’est logique. La pandémie, c’est un peu une conséquence de la manière dont on occupe la planète, de notre empreinte écologique qui fait qu’un minuscule virus a pu se répandre aussi facilement.

Le prochain livre de la série portera toujours sur Grey Owl ?

Oui, c’est le prochain naturaliste dans ma ligne de mire. Grey Owl et Jean-Charles Harvey, le journaliste et écrivain, futur auteur des Demi-civilisés. Lui aussi avait son ami québécois !

Un lac le matin

Un lac le matin

Boréal

242 pages