Écrire pour se consoler. Écrire pour sublimer le réel. Pour cristalliser les fragments de ce qui a été, avant que ce qui est ne soit plus.

Pour la narratrice de Jumeau jumelle, l’écriture en vient à perdre ce pouvoir qui pousse, sans doute, l’homme à vouloir écrire le monde. Le cancer qui gruge le cerveau de son frère, elle veut le conjurer par le livre. Elle prend la plume pour raconter, pour que les souvenirs revivent, que les traces restent. Pour que le livre, finalement, soit plus fort que la vie qui déraille. Mais peu à peu, les mots se déchaussent de leur sens, alors que son monde, lui, se désintègre. Le réconfort qu’elle allait chercher dans les mots, dans le livre, la fuit. Le livre devient ainsi, malgré lui, malgré elle, le récit de cette « pensée encagée », de ces pages raturées, de ce vide qui gonfle et avale les mots. Un ennemi, un mystère, sur lequel elle a de moins en moins de prise et qui ouvre un abysse, plutôt que de construire du sens, plutôt que de mettre un baume sur les plaies.

Le drame est double ; il y a la tragédie qui accable son frère, et qui appelle son propre drame, un cancer elle aussi, mais dont elle est en rémission. Une même causalité, deux fins différentes. Entre culpabilité et apitoiement, elle creuse dans cette autofiction des motifs qui se répondent, mais finit par se perdre dans leur écho. « Le livre ouvert comme une crevasse. Ni morte ni à renaître. Présente et détachée. Je me dédoublais. En jumelle de moi. Accompagnée d’une ombre. Coupable et victime. J’étais deux. Le livre. La vie. Mon frère. Moi. »

Le livre qui en résulte, aussi mince soit-il, n’en est pas moins percutant. Chaque phrase comme un coup de poing, un concentré de vérité, où la fioriture n’a pas sa place. Marisol Drouin pratique une écriture de la perte, où les mots amputés ne peuvent que constater leur échec à mettre de l’ordre dans le réel, et propose au détour une réflexion sur la fonction même de l’écriture, et du livre. Quand le réel est si « puissant et impénétrable » que le livre devient caduc, que le goût d’écrire est perdu, est-ce un échec ou une révolte ? En posant la question dans ce livre qui existe tout de même sous nos yeux, l’autrice en expose le paradoxe jusqu’au bout.

Jumeau jumelle

Jumeau jumelle

La Peuplade

96 pages

7,5/10