Incontournable figure de l’ombre du milieu littéraire québécois, le grand patron des Éditions du Boréal depuis 33 ans, Pascal Assathiany, cédera son poste de directeur général le 1er décembre. Une passation qu’il a minutieusement préparée, question d’assurer « la continuité dans le changement » de l’une des plus vieilles maisons généralistes du Québec.

« J’ai la conviction que ça va continuer avec les mêmes valeurs éditoriales et la même conception de l’édition, mais dans un monde qui a changé. »

Recruté par Antoine Del Busso autour de 1978, Pascal Assathiany — Géorgien d’ascendance, Parisien de naissance et Montréalais d’adoption — est arrivé chez Boréal à l’époque où la boîte fondée en 1962 par Denis Vaugeois et Jacques Lacoursière ne se consacrait encore qu’à l’essai historique. Sous l’impulsion d’un petit groupe qu’il forme entre autres avec Jacques Godbout et François Ricard, la maison s’ouvre alors à la littérature, en publiant… un roman historique, Le canard de bois de Louis Caron, en 1981.

C’est ainsi que Boréal s’est tranquillement transformée en la maison généraliste qu’on connaît aujourd’hui, fer de lance de la littérature québécoise qui publiera les Laferrière, Hamelin, Proulx, Chen, Laberge, Archambault et combien d’autres, et dont il deviendra le directeur général en 1989.

« Mais il ne faut pas oublier que tout ça est un travail d’équipe », rappelle l’éditeur, qui croit qu’une maison d’édition se définit autant par les textes qu’elle publie que par ceux qu’elle refuse.

Pascal Assathiany nous a reçus plus tôt cette semaine dans les célèbres locaux qu’occupe Boréal depuis le début des années 1990, rue Saint-Denis à Montréal. « Il y a plein de fantômes dans ce bureau. » Ceux de Serge Bouchard, François Ricard, Simon Roy, Lori Saint-Martin, Marie-Claire Blais, Jaques Brault, des auteurs associés à la maison qui sont morts au cours des derniers mois. « Mais ça remonte aussi à Gil Courtemanche, Gaétan Soucy… », dit doucement l’éditeur, qui a vécu chaque départ difficilement.

« Surtout que la plupart d’entre eux étaient plus jeunes que moi. Je ne sais plus qui a dit : “On chemine entouré de fantômes.” C’est un peu ça. »

L’éditeur est donc habité aujourd’hui par une nostalgie assumée, mais aussi par de l’optimisme. « Parce que les petits jeunes, ils en veulent ! », dit-il à propos de ses successeurs qui assureront la codirection générale, Gilles Ostiguy et Renaud Roussel. Tous deux faisaient d’ailleurs déjà partie de la boîte, ce qui a entraîné plusieurs autres remaniements.

Transition

Pascal Assathiany a décidé de se retirer alors qu’il avait encore « bon pied bon œil » pour préparer la transition. L’important était de tout laisser en ordre — autant chez Boréal que chez son partenaire, le distributeur Dimédia —, d’assurer la transmission de la mémoire en équilibrant les générations, mais sans forcer la nouvelle génération à « entrer dans un moule ». Une opération aussi complexe que délicate.

« Ç’a été mon plus gros dossier. C’est pour ça qu’il fallait faire ça tranquillement et non dans l’urgence. »

Des auteurs se sont d’ailleurs gentiment inquiétés pour sa santé lorsqu’il leur a annoncé qu’il partait. « Mais non, justement ! Mais j’aurai bientôt 77 ans. Je suis arrivé à l’âge où on n’a plus le droit de lire Tintin. Alors je n’ai plus le droit d’éditer non plus ! »

Mais que fera-t-il ? Il sourit. « Je ne jouerai pas les belles-mères. Mais je vais rester au C. A. de Boréal et de Dimédia. J’oserai quelques conseils, et j’ose espérer qu’on m’écoutera… »

Il lira aussi des livres « bien édités, ça, c’est toujours un plaisir » — quand on est éditeur, rappelle-t-il, « il y a énormément de lecture qu’on fait qui ne voit jamais le jour ». On apercevra aussi sans doute sa longue silhouette dans un salon du livre ou un lancement. « Je ne suis pas à la retraite complète, je suis en retrait. Je vais être là, je vais voir les gens. »

Et comme il n’aime rien autant qu’une bonne discussion avec un auteur, il ne s’en privera certainement pas.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Pascal Assathiany

Une maison d’édition est un lieu d’échange, de rencontre et d’ouverture. C’est ce que j’ai voulu faire chez Boréal. Une maison diversifiée où il y a un dialogue à l’interne.

Pascal Assathiany

Alors que le Salon du livre de Montréal bat son plein au Palais des congrès, ce sont d’ailleurs les souvenirs effervescents du stand de Boréal qui remontent à la surface et qu’il évoque en souriant. « Gil Courtemanche en conversation avec Sheila Copps, Bernard Arcand et Serge Bouchard qui sont là en train de rigoler, Chapleau qui est déchaîné… »

En plus d’aimer les livres profondément, pourquoi aime-t-il tant les auteurs ? « En général, ils sont plutôt compliqués ! » Il rigole.

« Et je n’aime pas la simplicité, la facilité. Ce qui est fascinant, dans ce métier tel qu’on le pratique, c’est la diversité des portes qui s’ouvrent. C’est une formation permanente. »

Indépendance

Une des plus grandes fiertés d’éditeur de Pascal Assathiany est d’avoir su garder la maison indépendante et d’avoir résisté à l’appel des grands groupes d’édition.

Je me promène dans les grandes foires, et c’est incroyable combien le milieu s’est financiarisé. Moi, ce que j’aime, c’est publier un texte que personne n’attend, le voir circuler puis que des gens soient émus par ça. C’est extraordinaire. Del Busso disait cette phrase : “On est un peu comme des agriculteurs. Parfois, on récolte des années plus tard.”

Pascal Assathiany

Signe que les temps changent, une autre page se tournera au printemps 2023, lorsque Boréal déménagera ses bureaux du côté du quartier Saint-Henri. On s’inquiète : qu’adviendra-t-il de la « salle historique » où le comité éditorial se réunissait pour évaluer les manuscrits, et dont les bibliothèques sont garnies d’un exemplaire de chaque livre qui a été publié au Boréal ?

« Il y aura une autre histoire qui s’écrira. »