Plus on s’enfonce dans le dernier ouvrage signé de la plume sombre de Patrick Senécal, plus on s’embourbe dans un quotidien totalement déréglé où tout le monde semble avoir perdu les pédales. Savoureusement et machiavéliquement nébuleux, Résonances se montre en revanche très clair sur un point : il représente un écho particulier dans le parcours de l’auteur, s’aventurant dans de nouvelles tourbes littéraires sans trahir son style.

C’est dans l’inquiétante noirceur d’une cabine d’imagerie par résonance magnétique (IRM) qu’a jailli l’étincelle du nouveau roman de Patrick Senécal. Ayant lui-même subi cet examen légèrement oppressant, il a décidé de l’infliger à son protagoniste, l’écrivain Théodore Moisan. Cela tournera mal pour ce dernier, surtout que, depuis l’examen, les anomalies se multiplient : sa mémoire s’étiole, suicides et agressions s’enchaînent sous ses yeux, ses proches agissent de façon surréaliste, certaines scènes vécues se reproduisent épisodiquement… Et qui est donc l’insaisissable Paden, homme aux mille visages disséminant des indices au compte-gouttes ? Difficile d’en dévoiler davantage sans livrer la clé déroutante de ce roman décalé, cultivé sur un terrain inédit pour Senécal – bien qu’il y ait apposé sa proverbiale patte griffue.

Après 26 ans d’édition, il y a toujours la peur de se répéter. On est confronté à deux choix : rester dans ses pantoufles ou essayer d’autres choses.

Pätrick Senécal

Il a finalement été séduit par la deuxième option. « D’habitude, même si je parle de fantastique ou de surnaturel, tout est très clair, expliqué, il n’y a pas de zone grise. Là, j’avais envie de perdre un peu mon lecteur en lui proposant un labyrinthe, tout en lui en donnant toutes les clés, mais pas de façon si évidente. C’était un risque intéressant. »

Calvino et Carpenter dans le cathéter

En effet, la tête nous tourne tant face à ce capharnaüm que l’on ne sait plus sur quel compte le mettre : Folie ? Maladie ? Manipulation ? Mise en scène ? Cauchemar ? Toutes ces réponses ? À mesure que les chapitres s’enchaînent, les hypothèses de scénarios « à la » (à la Matrix, à la Truman Show, à la Groundhog Day…) s’effondrent, nous réservant toutefois une révélation finale à saveur de métafiction.

Les pages de Résonances ont aussi été saupoudrées de nombreux clins d’œil (à David Lynch, le côté irrésolu en moins), parfois involontaires, de l’aveu de l’auteur (il évoque In the Mouth of Madness de John Carpenter). « Il y a un peu d’Italo Calvino, que j’aime beaucoup. Je ne suis pas le premier à traiter de l’écrivain à travers son œuvre, mais je trouvais ça intéressant de le faire à travers un thriller, avec un côté plus littéraire, dans un roman qui demeure populaire », explique Patrick Senécal.

Tour de contrôle

À travers le brouillard, les thèmes de la manipulation et du contrôle affleurent ; par exemple, par l’entremise de Gerda, outrecuidante écrivaine proclamant que ses personnages vivent par eux-mêmes. Patrick Senécal se laisse-t-il lui-même dicter ses lignes par ses rejetons littéraires ?

Les auteurs prétendant que les personnages décident à leur place, ça m’a toujours fait un peu sourire. Je suis en plein contrôle. La grande force de l’écriture, c’est que tu es un démiurge, un créateur.

Patrick Senécal

Autre point saillant, l’auteur avait souligné dans une précédente entrevue son inquiétude vis-à-vis de l’« intolérance de la vertu » et de la rectitude politique. Peu surprenant, donc, qu’il ait inséré dans Résonances des scènes poussant à l’extrême les dérives de la culture « woke »… tout comme celles de son opposé hyperconservateur. « Ça aurait été trop facile d’écrire un roman et de juste ridiculiser les dérives du politiquement correct extrême. Ça peut déraper dans les deux cas. On tape beaucoup sur certains wokes et, oui, il y a des dérives dans l’extrême wokisme, mais on en voit aussi de l’autre côté, avec des quinquagénaires qui réagissent de façon très violente face à cette nouvelle vague. Je voulais montrer ce qui peut arriver quand les deux extrêmes vont au bout de leur raisonnement », explique-t-il.

Une suite endiablée ?

Après Résonances, le romancier explorera-t-il d’autres variations sur un même thème ? Lui-même l’ignore encore, mais il insiste sur le fait que sa dernière parution ne marque pas un changement de cap irrémédiable – son style y est d’ailleurs toujours reconnaissable.

Peut-être s’attellera-t-il à ce projet d’envergure qui prend la poussière dans son cortex cérébral depuis de longues années ? « J’ai une vague idée depuis 10-15 ans, mais c’est très ambitieux et je n’ose pas m’y mettre. C’est aussi embryonnaire et je préfère ne pas en parler », confesse-t-il. Après une brève séance de tirage de vers du nez, le chat (noir) a fini par légèrement sortir du sac : « OK, ce sera un roman sur le diable. Pas celui avec une fourche et des oreilles pointues, mais l’image que l’on s’en fait, qui est d’ailleurs une notion en train de disparaître. Je n’en dirai pas plus ! »

Résonances

Résonances

Alire

340 pages