Devant le tollé qu’a suscité sa nomination comme porte-parole du Festival international Nuits d’Afrique en mai dernier, Mélissa Lavergne a choisi de se retirer. La percussionniste et coanimatrice de Belle et bum publie ce mardi un premier roman où, en filigrane, il est question d’appropriation culturelle.

« Honteux », « déplorable », « inacceptable », les réactions à la décision du Festival international Nuits d’Afrique de confier le rôle de porte-parole à Mélissa Lavergne ont été vives le printemps dernier. Elle a rapidement fait le choix de se retirer, pour « honorer » la colère qui s’exprimait, a-t-elle écrit, mais sans vouloir « sortir de la discussion ».

L’évènement a si profondément bouleversé la musicienne et coanimatrice de Belle et bum qu’elle est allée jusqu’à se demander si elle pouvait continuer à jouer des percussions africaines. Elle a pris le temps de se poser, de réfléchir et même de faire une formation sur la diversité pour mieux comprendre la tempête qui venait de la balayer.

Ce qui s’est passé [ce printemps], c’est parce qu’il n’y a pas d’équité. Les communautés racialisées se battent pour être reconnues, pour se voir, pour avoir un espace décisionnel, et il y a un contexte qui fait que la nuance n’est pas possible en ce moment.

Mélissa Lavergne

Ce « contexte » auquel elle fait référence, c’est l’après George Floyd, mort sous le genou d’un policier au Minnesota au printemps 2020. « C’est comme le #metoo pour les femmes, illustre-t-elle : après ça, il n’y a plus rien qui passe. »

Non, Mélissa Lavergne ne croit pas avoir été victime de « racisme antiblanc », comme on a pu l’entendre. Elle a trouvé difficile « d’avoir servi de paratonnerre » dans cette histoire, mais comprend « la souffrance réelle qui s’exprimait derrière tout ça ».

« J’espère vraiment que la conversation sociale va faire avancer les choses, qu’il y aura plus d’équité, dit-elle. Pas juste dans la représentation médiatique, mais dans la société. »

Chocs culturels

Ironiquement, la percussionniste s’intéressait depuis un moment déjà à l’appropriation culturelle lorsque l’évènement avec Nuits d’Afrique est survenu. Elle peaufinait depuis plus de deux ans déjà le manuscrit de L’iroko, son premier roman, qui paraît ce mercredi chez Québec Amérique.

Inspiré de ses propres voyages de formation musicale à l’étranger, en particulier en Afrique de l’Ouest, son récit raconte le séjour en Guinée de Martine, une jeune percussionniste québécoise qui fuit une peine d’amour en allant à la découverte d’une culture qui lui fait battre le cœur, et aussi un peu à la découverte d’elle-même.

Elle aborde sans détour le choc culturel, qui commence dès qu’elle sort de l’avion, et un sentiment d’exclusion qui ne la quittera guère tout au long de son séjour. Elle raconte aussi le pouvoir unificateur de la musique.

Ce que j’avais envie d’exprimer, forte de tous mes voyages d’études — j’en ai fait plusieurs, dont celui en Guinée –, c’est que même si on est très ouvert et qu’on parle la même langue, on n’arrive pas nécessairement à se comprendre, mais que même si on ne se comprend pas, on se rejoint à travers la musique.

Mélissa Lavergne

Martine se sent en effet isolée : Blanche en Guinée, Occidentale en Afrique, seule femme parmi les hommes parfois. La distance qu’elle ressent est parfaitement cernée dans une scène de repas où la famille qui l’accueille lui prépare son assiette à elle, alors que tous les autres convives mangent à même le plat posé au centre de la table.

Mélissa Lavergne n’a pas vécu cette scène, mais ce sentiment d’exclusion, elle l’a ressenti plus d’une fois. « En même temps, c’était normal parce que je n’étais pas comme les autres et je ne faisais que passer, dit-elle. Il y avait une richesse dans les liens qui se développaient, mais je n’allais jamais devenir une des leurs. C’est un deuil à vivre. » Et c’est aussi une façon d’apprendre à se connaître, juge-t-elle aujourd’hui.

Cette connexion authentique, elle la ressentait quand elle jouait des tambours. « La musique a toujours été salvatrice dans mon parcours intime. Ce livre est une lettre d’amour à la musique, un hommage aux cultures mandingues qui m’ont beaucoup apporté et aux bons professeurs », résume-t-elle.

Au mélange de cultures aussi, est-on tenté d’ajouter. Martine est partie en Guinée avec une soif sincère d’apprendre les percussions africaines. De s’approprier, oui, un peu de cette culture et de cet art qui la font vibrer.

« On a le droit de s’inspirer les uns des autres, de s’approprier des choses, estime Mélissa Lavergne. Quand on dit d’une chanteuse qu’elle s’est réapproprié telle ou telle chanson, c’est un compliment. On peut le faire, mais il faut savoir pourquoi on le fait, et être respectueux et sensible dans notre façon de le faire. »

L’iroko

L’iroko

Québec Amérique

144 pages