La romancière et poétesse Hélène Dorion pourrait rejoindre jusqu’à 1,5 million de lycéens au cours des prochaines années, alors que son recueil Mes Forêts figurera au programme du baccalauréat français aux côtés des œuvres d’Arthur Rimbaud et de Francis Ponge. Une première pour une plume québécoise. Elle signe aussi cet été, avec la regrettée Marie-Claire Blais, son premier opéra.

Chaque année, les lycéens doivent lire un livre du trio d’auteurs sélectionné et certains poèmes des deux autres. Les mots de l’écrivaine toucheront donc des milliers de cœurs dès l’année scolaire 2023-2024. « Je ne sais pas combien de profs vont choisir mon œuvre, mais c’est énorme, s’exclame l’écrivaine. Mon éditeur Bruno Doucey m’a dit que ma vie venait de changer ! Dans la minute qui a suivi l’annonce du programme, il a reçu des offres de tous les grands éditeurs français pour acheter les droits de Mes forêts. »

En plus de marquer l’histoire littéraire québécoise, Dorion sera l’une des rares femmes étudiées au bac. « Ce qui me touche le plus, c’est que ça renouvelle l’enseignement de la poésie. Au lieu de proposer aux élèves de découvrir une œuvre par un appareillage d’analyse critique, qui peut parfois étouffer le poème, ils vont me lire, sentir ma poésie et goûter à l’émotion. »

Une approche qui rejoint sa vision sur la poésie transformatrice.

En faisant en sorte que les gens entrent en contact avec leur être poétique, cette partie d’eux qui peut s’émerveiller, nommer les choses et goûter à la complexité de l’émotion, j’ai l’impression que cette sélection vient me dire : “Le chemin est ouvert, vas-y.”

Hélène Dorion

La créatrice aura alors l’occasion de multiplier les rencontres scolaires, les entrevues et les activités littéraires au cours des prochaines années.

Une première après l’autre

D’ici là, elle verra son tout premier opéra, Yourcenar – Une île de passions, prendre vie au Festival d’opéra de Québec (28 et 30 juillet) et à l’Opéra de Montréal (4 et 6 août). Ce sera l’aboutissement de six ans de travail depuis le jour où sa grande amie Marie-Claire Blais, qui s’est éteinte en novembre dernier, lui a demandé sur quoi elle travaillait. « Je lui avais répondu que je rêvais d’écrire un livret d’opéra librement inspiré de la vie et de l’œuvre de Marguerite Yourcenar. Elle m’a spontanément dit : “Je le fais avec toi.” »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Hélène Dorion

Jamais Dorion ne s’est sentie intimidée en présence de cette géante de la littérature.

Je connaissais trop la bonté, l’humilité et la tendresse de cette femme [Marie-Claire Blais] pour trouver ça intimidant. Un génie littéraire comme elle ne se comporte pas autrement qu’en grande humaine. Dès le départ, notre collaboration a été fluide, comme si nos forces respectives se conjuguaient naturellement.

Hélène Dorion

Alors que le milieu opératique compte peu de femmes compositrices, librettistes et directrices de maison, mais plutôt de nombreux personnages principaux féminins bafoués ou assassinés, le tandem voulait mettre en lumière une femme dans toute sa force. « Je tenais à montrer une écrivaine du XXe siècle, une avant-gardiste, une femme avec ses déchirements, ses paradoxes et ses passions. »

Opéra d’avant-garde

À ses yeux, la vie de Yourcenar est brûlante d’actualité. « C’était une femme d’un grand engagement social, politique et écologique. Elle a lutté contre le racisme et la guerre. C’est une homosexuelle qui a été avec des femmes et des hommes, sans s’obliger à choisir. Elle a quelque chose à dire sur le monde d’aujourd’hui. »

Humaniste, féministe et queer, l’opéra en deux actes raconte l’intimité de l’artiste avec sa traductrice et partenaire, Grace, ainsi qu’avec son secrétaire Jerry, alors qu’il entretient en parallèle une relation avec un homme. On y découvre les déchirements de Yourcenar entre son désir de stabilité et d’effervescence, ses amours et sa dévotion à la création.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Hélène Dorion

Il ne s’agit toutefois pas d’une biographie. « Marie-Claire et moi sommes des romancières. On voulait un sujet qui puisse être universalisé en se concentrant sur ses contradictions, ses émotions et ses complexités relationnelles. Les spectateurs n’ont pas besoin d’avoir lu ni d’aimer Yourcenar pour assister à l’opéra. »

Misant davantage sur l’intériorité que sur le spectaculaire, l’opéra a été écrit avec simplicité. « Un de mes buts est d’attirer les gens à qui ce n’est pas familier à découvrir cet art total où se rencontrent la littérature, la musique, le théâtre et la scénographie. Étant poète, je vois que la poésie souffre de plusieurs préjugés : les gens ont ouvert un recueil, ils n’ont pas compris et ils ont banni un genre littéraire. De la même façon, l’opéra souffre de certains préjugés. »

En plus d’avoir conçu un opéra accessible, Hélène Dorion et Marie-Claire Blais ont écrit un livre (Éditions de l’Homme) sur leur processus de création : entretien sur l’historique du projet et leurs démarches de création, textes des principaux créateurs, esquisses. « Si quelqu’un le lit avant de venir à l’opéra, le livre peut créer un mouvement d’accueil et de compréhension. Ensuite, on l’oublie et on s’abandonne au spectacle. »

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