Grand lecteur de romans policiers – il en lit une bonne centaine par an –, l’ancien collaborateur de La Presse Norbert Spehner vient de publier le troisième tome de sa série d’essais bibliographiques, Le roman policier en Amérique française, dans lequel il recense, entre autres, tous les polars écrits au Québec durant la dernière décennie. Nous en avons profité pour lui parler de ce genre en pleine effervescence dans la Belle Province.

Q. Qu’est-ce qui caractérise le roman policier québécois, à votre avis ?

Comme pour tous les polars, la base, c’est le crime, l’enquête. Et dans le polar québécois, on touche à tous les genres : ça va du thriller au roman historique, au roman d’enquête policière, etc. Au Québec, à peu près tout le monde ou presque, parmi les grandes maisons d’édition, en publie maintenant. D’après moi, il y a deux aspects qui le caractérisent. Le premier, c’est la langue, qui introduit une note particulière. Et puis, il y a le territoire. On n’est pas dans les décors des polars suédois ou islandais, mais on a quand même des décors particuliers. D’ailleurs, chez Héliotrope, la collection [noire] a une exigence de base, c’est-à-dire qu’il faut mettre en valeur une région du Québec dans le polar en question. Alors ça donne, par exemple, le roman de Maureen Martineau qui se passe dans une zec. […] Ou bien, on a des polars qui se passent à Montréal dans des quartiers spécifiques ; les problèmes locaux sont quand même universels – les gangs de rue, ça existe partout –, mais on a nos gangs particuliers. Le régionalisme dans le polar est d’ailleurs un phénomène mondial ; partout, on s’attache à des régions.

Q. Le roman québécois a-t-il réussi à se tailler une place à l’étranger ?

C’est un phénomène nouveau. Tout d’un coup, depuis deux ou trois ans, ça a commencé à se faire. Il y a Patrick Senécal qui a percé en France et qui est très apprécié – même si c’est plus du côté de l’horreur que du roman policier. Lionel Noël, Guillaume Morrissette, Andrée A. Michaud – qui a raflé tous les prix possibles et imaginables [en France]. […] Ça s’est dégelé, mais il ne faut quand même pas se leurrer, ce n’est pas les grandes eaux : il y a à peu près une dizaine d’auteurs maintenant [qui percent en France] et ça commence chez les Anglo-Saxons. Roxanne Bouchard, par exemple, a été traduite en allemand et en anglais ; Mario Bolduc est traduit en anglais.

Q. Quels auteurs de polar québécois avez-vous découverts au cours de la dernière décennie et continué de suivre ?

Il y a Martin Michaud, qui est un des grands ténors du polar québécois ; j’ai lu à peu près tous ses bouquins. Jean-Jacques Pelletier, qui s’est affirmé. André Jacques – j’aime beaucoup sa série avec son antiquaire. Ces deux dernières années, j’ai été agréablement surpris par Jean-Louis Blanchard. Un autre auteur que j’ai beaucoup aimé et que j’aime toujours, d’ailleurs, c’est Hervé Gagnon, avec sa série historique qui commence par une traque de Jack l’Éventreur ; je regrette qu’il ait laissé tomber pour passer à autre chose. Il y a aussi Éric Forbes, qui n’en a écrit qu’un – Amqui, chez Héliotrope –, mais que j’ai trouvé assez costaud. Le tout dernier que j’ai lu, c’est le début d’une série par Catherine Lafrance, L’étonnante mémoire des glaces ; c’est très prometteur pour la suite.

Q. Quelles sont les qualités d’un bon polar, selon vous ?

Il faut qu’il y ait, au sens très large du terme, un mystère. Qu’une question soit posée quelque part, qui nous chatouille et dont on veut la réponse. Et ça, c’est important dès le premier chapitre. Il faut qu’il y ait du punch au début et puis un rythme et un certain style – c’est fondamental. Ce qui est important, aussi, c’est le personnage principal. Si vous avez une tête à claques, ça ne marchera pas. À moins que ce soit Sébastien Bergman, par exemple, de la série Dark Secrets, où on finit par s’intéresser à lui parce qu’il est particulier. […] Le problème, c’est que maintenant, je trouve qu’il y en a trop [de romans policiers] ; l’explosion est internationale. Ça se répète un peu et ça devient difficile d’être original. On navigue beaucoup dans les clichés, dans les situations convenues. Les sempiternels tueurs en série, je ne suis plus capable, d’autant plus qu’ils sont de moins en moins crédibles, avec des rituels compliqués… Je lis de moins en moins ce qu’on appelle le thriller psychologique domestique, aussi.

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Le roman policier en Amérique française – 3 (2011-2020)

Le roman policier en Amérique française – 3 (2011-2020)

Alire

492 pages