Le fondateur du Quartanier, Éric de Larochellière, et le directeur commercial de la maison d’édition, Félix Philantrope, n’en croyaient pas leurs yeux lorsqu’ils sont tombés, par hasard, sur une vitrine remplie de leurs livres, celle du Monte-en-l’air. Portrait d’une librairie parisienne grâce à laquelle la littérature québécoise prend son envol.

Comment autant de livres d’une maison d’édition québécoise s’étaient-ils retrouvés ainsi mis en valeur, alors que les titres du Quartanier étaient encore peu diffusés et distribués en France ? C’est qu’Aurélie Garreau, cogérante du Monte-en-l’air, s’était fait offrir un exemplaire du roman Mailloux (2014) d’Hervé Bouchard, par Marie Noëlle Blais, qui dirigeait à l’époque le webzine Cousins de personne.

« Ayant lu ce texte que j’ai trouvé incroyable, je suis allée sur le site du Quartanier et j’ai commandé des livres à l’aveugle », raconte la libraire, jointe à Paris par visioconférence. « Quand j’ai lu Hervé Bouchard, c’est la langue qui m’a touchée. J’ai aimé qu’elle soit patinée de mots qui ne soient pas les miens. Mais ce qui m’a séduite, au-delà des québécismes, c’est bien sûr que c’est de la littérature, avant tout. »

Jadis peu distribué en Europe, outre à la Librairie du Québec à Paris, le livre québécois y connaît un essor inouï depuis plus ou moins cinq ans, alors que plusieurs maisons d’édition se sont dotées de véritables et efficaces partenaires de diffusion et de distribution. C’est le cas du Quartanier depuis 2019, de Mémoire d’encrier depuis 2017 et de La Peuplade depuis 2018. Ce que ça signifie, en clair ? Que la présence de livres québécois sur les tablettes n’est plus un épiphénomène strictement lié à leurs rééditions chez des éditeurs français ou à la dévotion de libraires québécophiles.

Après avoir invité deux auteurs québécois (Hervé Bouchard et Catherine Lalonde) en 2019 lors de son festival de poésie Tremble parlure, la librairie du 2, rue de la Mare, dans le 20e arrondissement, accueille du 8 au 16 juin une douzaine de représentants du milieu du livre québécois durant Rapailler, titre mironien de son premier « festival des littératures québécoises ». Parmi ceux-ci : Audrée Wilhelmy, Gabrielle Filteau-Chiba, Camille Readman Prud’homme, Vanessa Bell, Geneviève Blais, Aimée Verret, Lorrie Jean-Louis et Virginia Pésémapéo Bordeleau.

PHOTO FOURNIE PAR LE MONTE-EN-L’AIR

La librairie Le Monte-en-l’air est située dans le 20e arrondissement de Paris.

Que l’on parle « des littératures québécoises » et non de « la littérature québécoise » témoigne d’emblée d’une sensibilité quant à la nature hétérogène de la production romanesque et poétique d’ici, que traduisent souvent mal les descriptions folklorisantes — la neige, les coureurs de bois, la nature indomptable ! — qu’en font les médias hexagonaux. Sans nier qu’une part de la fascination du lectorat français tient à un certain imaginaire des grands espaces, ainsi qu’aux questions autochtones, Le Monte-en-l’air considère la littérature québécoise dans son irréductible pluralité.

« La littérature québécoise reçoit enfin, de ce côté-ci de l’océan, l’attention et le respect qu’elle mérite », lit-on dans le programme de Rapailler. « Il en aura fallu du temps ! Nous portions des œillères, sans doute… Et pourtant, quel foisonnement ! »

PHOTO FOURNIE PAR LE MONTE-EN-L’AIR

Aurélie Garreau, de la librairie Le Monte-en-l’air

C’était très important pour moi, oui, de ne pas être dans le folklore québécois, de recevoir une poète dont l’œuvre est très ancrée dans la langue et le territoire québécois, comme Marie-Hélène Voyer, mais aussi de recevoir un Alain Farah, dont le livre parle du Montréal de l’immigration.

Aurélie Garreau

Soutenu par Québec Édition, un comité de l’Association nationale des éditeurs de livres voué au rayonnement international de l’édition québécoise, l’avènement d’un pareil rendez-vous participe à un « mouvement général en Europe », pense Julien Delorme, directeur commercial à La Peuplade.

Un mouvement attribuable, selon lui, au succès populaire ou critique de plusieurs œuvres québécoises — Audrée Wihelmy a remporté il y a quelques jours le prix Ouest-France/Étonnants Voyageurs pour son roman Blanc résine — ainsi qu’aux initiatives de Québec Édition, grâce à qui Aurélie Garreau a d’ailleurs été reçue au Salon du livre de Montréal en 2017.

Jusqu’à il y a cinq ou six ans, certaines librairies distinguaient les livres français de ceux produits en français, mais provenant du reste de la Francophonie, dans des rayons moins mis en valeur et plus perçus comme des curiosités. On n’y attachait que peu d’enjeux commerciaux ou culturels.

Julien Delorme, directeur commercial à La Peuplade

Si la littérature québécoise occupe encore sa section distincte chez certains libraires, comme à la librairie Quai des Brumes à Strasbourg, c’est désormais « pour la mettre en valeur, la défendre plus efficacement », se réjouit Julien Delorme. Au Monte-en-l’air, la production québécoise se fond au reste des littératures francophones. Dans ce cas, poursuit M. Delorme, « l’attention des libraires est forte sur la production québécoise, mais le lecteur ne différencie pas un livre québécois d’un livre français, une bonne stratégie pour lutter contre un certain snobisme français qui va déprécier ce qui vient d’ailleurs ».

« Plusieurs de nos clients ne savent pas forcément que Le Quartanier, La Peuplade ou Mémoire d’encrier, c’est québécois, confirme Aurélie Garreau. Pour eux, il ne s’agit que de nouveaux éditeurs à garder à l’œil. »

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