Gagnant du prix Robert-Cliche 2022, Plessis nous transporte de Trois-Rivières à Schefferville durant une période charnière de l’histoire du Québec : la mort subite de Maurice Duplessis, qui sonnera le glas de la Grande Noirceur et ouvrira les portes vers la Révolution tranquille. Malgré cette prémisse, ce premier livre de Joël Bégin est loin d’être fidèle à l’histoire, se situant quelque part entre le roman noir et le récit fantasmagorique, le tout saupoudré de quelques pincées de réalisme magique !

Depuis 1979, le prix Robert-Cliche récompense l’auteur d’un premier roman – sans restriction de genre – dont le manuscrit est soumis de façon anonyme à un jury, qui était composé cette année de Monique Proulx, Samuel Archibald et Camille Toffoli.

Et c’est sur Plessis que le jury a arrêté son choix, un roman foisonnant et très imagé au récit tentaculaire signé par Joël Bégin, professeur de philosophie au cégep de Trois-Rivières. « Une envergure vertigineuse, une écriture inventive et maîtrisée, une recréation forte de la société et de l’histoire », a résumé Mme Proulx, qui présidait le jury, par communiqué.

Joint au téléphone, Joël Bégin semble se pincer encore.

Mon livre a été en chantier pendant six ans, et je n’avais jamais l’impression qu’il était terminé. Pour moi, c’était inespéré, j’ai l’impression de passer par la grande porte pour entrer dans notre littérature.

Joël Bégin, auteur

L’histoire comme matériau littéraire

Le roman, explique Joël Bégin, prend sa prémisse dans une nouvelle qu’il avait rédigée pour une revue littéraire, où il mettait en scène le personnage de Gérald Godin qui se rendait aux funérailles de Duplessis, à Trois-Rivières – les deux hommes, note-t-il, sont associés à cette ville qui est aussi sa ville d’origine, où il s’est réinstallé un peu à reculons après être parti étudier à l’extérieur.

« Il a fallu que je me réconcilie avec cette ville-là, où je ne me voyais pas vraiment revenir. Ma façon de faire, ç’a été de lire un peu sur l’histoire de la ville, d’aller à la rencontre des personnages historiques qui y sont nés et y ont vécu. J’ai découvert une ribambelle de personnes : Duplessis, Godin, Pauline Julien... »

Rappelons que Maurice Duplessis, qui régnait en roi et maître sur le Québec de façon presque ininterrompue depuis le milieu des années 1930, est mort en fonction en 1959 des suites d’une hémorragie cérébrale, alors qu’il visitait Schefferville. Cet évènement, véridique, est le point de départ d’un récit qui, s’il est parfois appuyé par des faits historiques et où apparaissent nombre de personnes ayant réellement existé (Gérald Godin, Daniel Johnson, Pierre Laporte et Paul Sauvé, parmi d’autres), demeure bel et bien une fiction.

« J’ai développé une fascination pour le cas du Duplessis qui est dans un coma à Schefferville, car j’avais trouvé cette anecdote extrêmement littéraire. Au fil du temps, je me suis retrouvé avec plein de petites historiettes. Pour trouver un fil directeur, je me suis plongé dans des lectures, des biographies notamment. J’ai pris beaucoup de plaisir à ça et j’y ai découvert des matériaux littéraires que je pouvais transfigurer, tisser, métamorphoser. »

PHOTO SYLVAIN MAYER, LE NOUVELLISTE

Joël Bégin prend la pose devant le Séminaire Saint-Joseph de Trois-Rivières, théâtre de quelques scènes du roman.

Le titre Plessis vient un peu de là : un plessis, c’est une clôture d’arbres qui sont tressés ensemble et qui poussent ensemble. Je trouvais que c’était une image qui représentait bien le résultat final.

Joël Bégin, auteur

On le comprend. L’histoire avec un grand H sert moins d’inspiration en tant que telle que de matière première avec laquelle l’auteur s’amuse énormément, imaginant une histoire alternative déjantée, faisant rencontrer personnages véridiques et inventés, croisant les époques, les rumeurs, les théories du complot.

« Ce n’est pas un roman à thèse. Je n’ai jamais eu comme idée de réhabiliter qui que ce soit, ou de défendre une idée du Québec ou de la Grande Noirceur. C’était vraiment de prendre un matériau historique et d’en faire un matériau littéraire, de canaliser mon imaginaire. Je n’avais pas de souci de réalisme ou de fidélité par rapport aux faits historiques ni à ma famille », ajoute l’auteur, faisant allusion au fait qu’il y a beaucoup de Bégin dans son histoire, famille dont il remonte l’arbre généalogique jusqu’à l’arrivée des premiers Bégin en Nouvelle-France.

« Un faux roman policier dans un faux roman historique »

Si la mort de Duplessis sert de fer de lance à l’action du roman, le personnage de l’ancien premier ministre ne fait que quelques apparitions éclair – assez truculentes, d’ailleurs – dans le roman. Au centre du récit, un personnage tout à fait fictif cette fois : Paul-Émile Gingras, un jeune policier trifluvien sans grand talent ni perspicacité qui se voit tout à coup parachuté au poste d’enquêteur par la volonté de son grand-oncle, Jos-D. Bégin, ministre de la Colonisation et bras droit de Duplessis (qui, lui, a vraiment existé), avec la mission de découvrir ce qui est vraiment arrivé au premier ministre.

Duplessis est-il vraiment mort ? S’est-il enfui, a-t-il été enlevé ? Qui trame quoi dans les coulisses pour prendre sa place ? Et que viennent faire là-dedans le Diable, une poétesse au nom invraisemblable et une mystérieuse et très convoitée mallette noire ?

C’est ce que tentera de découvrir Gingras en s’embarquant à son corps défendant pour une longue aventuree, de Trois-Rivières à la Côte-Nord, avec son ami Gégé Godin, tout ça alors qu’en filigrane, un drame dont il ignore tout se joue dans sa propre famille. « Je dis à la blague que c’est un faux roman policier dans un faux roman historique ! », lance le père de trois jeunes enfants en riant.

Une langue évocatrice et vivante

Le fil conducteur du roman se trouve aussi dans ce travail sur la langue orale que fait Joël Bégin, qui s’est notamment inspiré de la parlure de ses grands-parents, qui viennent de la région de Bellechasse. Il use abondamment d’expressions en joual et va même jusqu’à faire renaître, dans une scène se déroulant en Nouvelle-France, la langue telle qu’elle était parlée à cette époque.

« C’est mon thème de prédilection, redonner de l’importance à la matérialité de la langue. Pour moi, la langue écrite est souvent aseptisée, standardisée, et il y a un pouvoir d’évocation qui est perdu à travers ça. Le fait d’aller dans le passé, vers une langue plus originelle, permet de briser cette idée que la langue est figée dans le temps. »

Plessis

Plessis

VLB Éditeur

408 pages