Déboussolé d’Yves P Pelletier, « c’est peut-être ce qui va être lu un jour dans un Cabaret Bio dégradable », lance le plus fantaisiste des RBO, en évoquant ces soirées durant lesquelles des comédiens prélèvent à des biographies de vedettes, manifestement écrites à la va-vite, leurs extraits les plus abracadabrants. « Ça me ferait grand plaisir, sans niaiser ! »

Il faudrait pourtant beaucoup de mauvaise foi pour faire subir pareil sort à ce livre, pas écrit à la va-vite du tout. Yves P Pelletier signe ici un premier récit qu’on lirait avec la même joie si son auteur s’appelait Gaétan Thibodeau, pour peu que ce Gaétan fictif manie avec autant de finesse cet alliage de lumineuse sensibilité et de douce dérision, devenu la marque de fabrique de l’humoriste et cinéaste depuis Les aimants (2004).

C’est à la suite d’une invitation de la collègue Chantal Guy à participer à un évènement durant lequel des personnalités publiques révélaient des extraits de leurs journaux de jeunesse – « Une invitation que j’ai dû décliner parce que je n’avais pas accès à mes boîtes » – que le créateur de Monsieur Caron s’est lui-même livré à cet exercice d’archéologie de l’intime.

PHOTO JEAN F. LEBLANC, FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

Rock et Belles Oreilles, en 1989

C’est après avoir assisté au spectacle que j’ai découvert un journal que je tenais quand j’étais au cégep. Et il a rapidement fallu que j’arrête de le lire, parce que j’étais en train d’humidifier mon artefact, tellement je pleurais de rire ! C’était tellement ridicule !

Yves P Pelletier

Constat : savoir se moquer de lui-même n’était pas encore donné au jeune homme. « J’ai été soufflé par ma naïveté, mais aussi par mon sérieux ! Tu vois dans mon ton que j’essaie d’être décontracté, mais le sous-texte est plein de fragilité. »

C’est à la rencontre de ce fragile freluquet – « Six pieds, cent livres, dont dix de cheveux bouclés, tombant de chaque côté de mon visage poupin » – que nous convie Déboussolé, au ton quelque part entre le récit de voyage, le roman d’apprentissage et l’autobiographie, bien que l’ancien maigre (comme il se surnomme lui-même sur Twitter) n’aborde ici essentiellement qu’une décennie (de 1981 à 1993) de sa vie. Une décennie faste en découvertes du monde (France, Italie, Pologne, Allemagne, Finlande), en deuils difficiles (celui de sa mère et, a fortiori, celui de son frère, fauché dans la force de l’âge) ainsi qu’en désillusions amoureuses.

À 20 ans, Yves s’apprête à détaler de sa prison lavalloise – la maison familiale – pour aller conquérir le monde français de la bande dessinée. Une ambition qui – alerte au divulgâcheur – ne rencontrera que des rebuffades. « J’ai essayé de me remettre dans la peau de qui j’étais à l’époque et de raconter les choses telles que je les vivais », dit celui qui confie avoir été inspiré par les drolatiques livres au je de Tina Fey et de Pierre Huet. « Cela dit, j’ai 61 ans, donc je n’aurais pas été capable à l’époque de formuler les choses comme je le fais aujourd’hui, avec toute ma sagesse. » Yves prononce le mot sagesse en faisant une de ces petites grimaces dont il ponctue ses propos quand il semble craindre d’avoir l’air de pontifier.

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Yves P Pelletier, sur scène en juillet 1987

Liberté fondamentale

Un jour, dans un atelier de théâtre au cégep, après une performance provoquant moult rires, le professeur d’Yves Pelletier laisse tomber son verdict : « Tu n’es qu’un cabotin. » « Il avait raison, encore », écrit le mauvais élève. « Mais sa remarque dédaigneuse a sonné à mes oreilles comme un compliment. Non. Une révélation. Je suis un cabotin. »

Quatre décennies plus tard, l’auteur n’a visiblement pas cessé d’envisager le quotidien comme un vaste jeu, et chaque contrariété, grande ou petite, comme une occasion de déjouer les habitudes et, par le fait même, de se rappeler que nous sommes vivants. Ce matin-là, parce que le café où nous devions jaser s’avère bondé, Yves jette un regard à la cantonade, entre dans une buanderie, puis en ressort aussitôt. « Il y a une table dans la buanderie. Est-ce que ça te dérange qu’on s’installe ici à la place ? » Euh… pourquoi pas ?

Marie-France Bazzo m’a demandé il y a quelques années dans son tempo : ‟C’est quoi cette petite voix que tu prends parfois en entrevue ?” J’avais répondu que cette voix-là, ce n’est pas quelqu’un d’autre, c’est moi ! Mon côté cabotin, c’est une manifestation de mon côté sensible, qui me sert de paravent ou de masque.

Yves P Pelletier

Déboussolé témoigne ainsi de la quête d’un garçon biberonné aux aventures de Tintin qui, très tôt, placera la liberté au sommet de ses aspirations. Une liberté à laquelle il a pu goûter grâce au succès de Rock et Belles Oreilles, ce groupe dont il a accepté de rallier les rangs parce que la proposition s’accompagnait d’une costaude paie de 60 $ par semaine.

« Pour moi, la liberté, c’est fondamental. » Et le voyage lui aura permis d’en soupeser la valeur. « Ce qu’on oublie, c’est que collectivement, au Canada, peu importe qui on est, on est dans une bulle privilégiée. On le voit présentement : il y a du monde qui essaie de franchir notre frontière pour venir vivre sous notre régime dictatorial. [Les mots ‟régime dictatorial” dégoulinent d’ironie.] Moi aussi, il y a des choses qui m’indignent [dans les décisions de nos gouvernements], mais à un moment donné, il faut demeurer en contact avec le réel. Avant de critiquer les privilèges des autres, il faut prendre en considération les siens. »

Professeurs marquants

Ces « histoires de hasards et de coïncidences, de rêves éveillés et de quêtes intuitives », comme il l’écrit, sont aussi, fondamentalement, des histoires de rencontres : avec ses collègues André, Bruno, Chantal, Guy et Richard, avec des potes pour toujours croisés au gré de ses pérégrinations, ainsi qu’avec des professeurs marquants à la Faculté de communication de l'UQAM. Parmi ceux-ci : Pierre Bourgault, Pierre Falardeau, Jean-Claude Labrecque et Pierre Foglia.

Comme je faisais les choses à ma manière, de façon très originale, sans avoir l’intention de devenir journaliste, ses commentaires sur mes travaux pouvaient passer du dithyrambique une semaine à ‟Oublie ce que je t’ai dit, c’est de la marde”, la semaine suivante. Il était toujours très franc.

Yves P Pelletier, à propos de Pierre Foglia

Et que retient-il de son cours ? « Je m’étais inscrit juste parce que c’était Foglia qui le donnait. Et là, j’ai été surpris par sa rigueur. Il nous avait rapidement appris que l’écriture, c’est du travail, pas du n’importe quoi, et que le journalisme, c’est de la scénarisation. Il faut que tu racontes une bonne histoire. » Une leçon que l’étudiant a visiblement bien assimilée.

Déboussolé

Déboussolé

VLB éditeur

232 pages