Stéphane Dompierre se trouvait avec des amis à la campagne, par un beau soir, sous un ciel scintillant. Le genre de ciel qui n’existe pas à Montréal. « Et là, on s’est mis à télécharger des applications qui permettent d’identifier les étoiles. J’ai même téléchargé une appli qui permet d’identifier les avions ! »

Même au fond de la forêt, l’écrivain n’était pas arrivé à échapper aux technologies du numérique, celles qui allègent bien des aspects de nos quotidiens, mais qui tyrannisent aussi notre relation au temps.

Fasciné par « le nombre de gens qui, chaque jour, veulent quitter Facebook, et le nombre de gens qui le font pour vrai », autrement dit par le fossé entre notre conscience des dangers d’une vie vécue à travers le filtre de l’écran et notre impuissance à s’en soustraire, Stéphane Dompierre invente dans la comédie d’horreur Novice, son septième roman, un camp de débranchement. Une semaine, creux dans le bois, sans téléphone intelligent, ni tablette ou ordinateur. L’enfer, c’est les autres ? Imaginez sans WiFi.

Youtubeurs incapables de même concevoir qu’il soit possible de vivre une expérience sans la documenter visuellement, influenceuse répandant les leçons de morale à tout vent, cinéphile ne sachant se souvenir du nom d’aucun acteur ; les 11 esclaves de la machine, qui se soumettent au martyr de ce retour au temps d’avant la connexion permanente, incarnent de manière caricaturale des travers qui ne sont pas que ceux des accros aux likes, mais aussi les nôtres.

Le beau temps perdu de l’attente

Nostalgique, Dompierre ? L’homme préférerait-il revenir à la douce époque du télécopieur, voire du téléphone à roulette ? Pantoute, jure-t-il solennellement.

Je ne suis pas du tout nostalgique, je vis avec les outils qu’on a, mais il y a une réflexion à faire sur la façon dont la technologie nous a reconfiguré le cerveau et dont elle s’est substituée à notre mémoire.

Stéphane Dompierre

Petit rire au bout du téléphone – téléphone que l’on devine intelligent. Confidence : « J’ai une culture générale un peu absurde. Je ne me souviens pas de choses évidentes, mais des fois, je parle à ma blonde et elle me dit : “ Comment ça se fait que tu connais cette information nichée là ? ” C’est parce qu’en cherchant quelque chose, je me suis perdu dans les méandres du web », dans le proverbial « trou de lapin ».

Il y avait aussi, pour l’écrivain, une réflexion à mener sur l’érosion du temps. Les plus de 25 ans se souviendront peut-être d’une époque où il était impossible de signaler à quelqu’un à qui l’on avait donné rendez-vous qu’on ne pourrait pas s’y rendre, s’il avait déjà quitté son domicile.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Stéphane Dompierre

« Nos journées étaient faites de ces zones tampons où tu attendais quelqu’un ou quelque chose, seul avec tes pensées, ce qui existe de moins en moins », observe Dompierre. Une perte nette pour n’importe quel créateur, qui voit souvent ses bonnes idées surgir de ces instants de suspension. « On dit que la technologie nous a fait gagner du temps, et c’est vrai, mais on ne se sert de ce temps que pour retomber dans la technologie et s’étourdir. »

Renverser les codes

Largement inspiré des slashers, sous-genre d’horreur dans lequel un psychopathe abat tout ce qui se dresse sur son passage, Novice en remanie néanmoins les codes. À commencer par ce bourreau qui n’accomplit pas son boulot avec grande efficacité. Une subversion que l’auteur attribue à son « côté rationnel ».

Quand je regarde un film d’horreur, je me demande tout le temps : ce gars qui est masqué dans le fond de la forêt, où est-ce qu’il l’a acheté, son masque ? Qu’est-ce qu’il mange pour souper ? Les tueurs de films d’horreur ont une logique inhérente au fait qu’ils tuent, mais dès que tu les sors de ce contexte-là, ils ne fonctionnent pas du tout.

Stéphane Dompierre

Au-delà de cette pirouette comique, Stéphane Dompierre s’est aussi plu à corriger le sérieux mauvais pli de tant de slashers, qui se plaisent avec un peu trop de délectation à supplicier leurs personnages féminins (pendant que les personnages masculins, eux, sont liquidés de manière beaucoup plus expéditive).

En tant que directeur littéraire chez Québec Amérique, Dompierre a fréquenté et accompagné au cours des dernières années la pensée de plusieurs autrices qui placent leur féminisme au cœur de leur travail littéraire, comme Stéphanie Boulay, Fanie Demeule, India Desjardins ou Liz Plank. S’il ne revendique pas l’étiquette d’homme féministe, qui apparaît parfois plus opportuniste qu’éclairée, le jeune quinqua refuse de fermer les yeux sur les injustices historiques et les représentations fictionnelles délétères dont ces femmes lui ont permis de prendre conscience.

« Dieu sait que j’ai beaucoup écrit de personnages qui objectifiaient le corps féminin », dit-il, sans surjouer la repentance, au sujet de sa trilogie que composent Un petit pas pour l’homme, Mal élevé et Tromper Martine. S’il faudrait offrir une lecture tronquée à ces romans pour percevoir dans leurs personnages d’hommes à la dérive des exemples à suivre – un lecteur généreux pourrait même y lire un portrait des ravages les plus ordinaires de ce qu’on appelle désormais la masculinité toxique –, certains de leurs passages vieillissent peut-être un peu moins bien. « C’est quelque chose [l’objectification] à quoi je n’étais pas encore sensibilisé. »

Ce qui n’est plus le cas, 18 ans après son entrée fracassante en littérature en 2004. « Les femmes dans les slashers se font courir après, se font arracher la moitié de leur linge, elles meurent dans des souffrances longues. C’est comme de la torture porn, regrette Stéphane Dompierre. Je me suis amusé à retourner cette tendance : je voulais que ce soient les hommes qui couinent, qui crient et qui courent, pendant que les femmes, elles, prennent le temps de réfléchir et de s’unir. »

En librairie le 1er mars

Novice

Novice

Québec Amérique

296 pages