C’est un premier roman étonnant, parfois déroutant, et qui garde sa part de mystère, que propose Thomas Desaulniers-Brousseau avec Le fond des choses.

Le jeune auteur sait manier avec habileté les fils de ce récit dont la trame narrative semble d’abord simple, mais se révèle beaucoup plus complexe. Un journaliste sans grande ambition, au regard à la fois aiguisé, grinçant et écœuré sur le monde et sur lui-même échappe à ses propres angoisses – sur sa vie, son orientation sexuelle, le perpétuel sentiment d’irréalité qui l’habite et la solitude dans laquelle il s’enferme irrémédiablement – en décidant de mener son enquête sur la nouvelle du jour : une biographie publiée sur un grand artiste national, un peintre nommé Michel S. Painchaud, consacre un chapitre qui lève le voile sur sa pédophilie. Une situation fictive qui n’est évidemment pas sans rappeler celle, bien réelle, du cinéaste Claude Jutra.

Mais ce sujet sert plutôt de prétexte pour entraîner le lecteur dans un jeu de miroirs, où la pléiade de lieux, de personnages, d’évènements, de souvenirs évoqués par le narrateur se forment et se déforment, glissant les uns sur les autres, se mutant imperceptiblement en autre chose. À travers les yeux du personnage, qui sombre toujours plus loin dans une autoanalyse vertigineuse, la réalité se dévoile fuyante, intangible, immatérielle.

Jouant avec cette idée, et avec son écriture, comme un talisman, plongeant dans les eaux de la métafiction, l’auteur mêle les cartes, brouille les repères, interchangeant lieux, personnages, souvenirs, évoque la construction même du roman, plonge dans l’abysse qui sépare la fiction et la réalité, déroulant le fil fragile qui les lie l’une à l’autre. « Je ne suis pas journaliste, tous ces gens sont des personnages, mais peut-être que la fiction est à la vérité ce que l’angoisse est à la réalité, et il faut bien reconnaître, non, que l’angoisse existe, non ? » Un roman touffu, vertigineux, assez fascinant, qui ne révèle pas tous ses secrets à la première lecture.

Thomas Desaulniers-Brousseau
Les Herbes rouges
296 pages
★★★½