Tout est sombre dans le roman de Tahar Ben Jelloun.

L’histoire a beau se dérouler à Tanger, ville de bord de mer ensoleillée, les lieux où vivent Malika et Mourad, vieux couple qui ne se supporte plus, sont sombres et humides. Ils vivent dans le sous-sol de leur maison depuis qu’une tragédie a frappé leur famille. Entre les deux règne une haine qui les aveugle et les empêche de communiquer. Chacun de son côté souffre et rumine son amertume et ses déceptions. À travers le monologue intérieur des deux personnages et ceux de leurs trois enfants, on apprend peu à peu ce qui les a menés là. Un mariage arrangé qui aurait pu être heureux, assez d’argent pour subvenir aux besoins de la famille. Leur vie aurait pu être douce. Mais « la tragédie », comme ils la nomment, vient pulvériser ce fragile noyau familial. Malika et Mourad s’accrochent à leur malheur et s’en nourrissent, comme pour se punir. La grande absente de ce roman, leur fille, Samia, occupe toute la place. C’est elle qui est au cœur du drame. Un pédophile a utilisé son rêve d’écriture pour l’agresser. Seul rayon de lumière dans cette histoire étouffante : Viad, réfugié mauritanien qui apportera un peu d’humanité dans cette famille morte-vivante.

Tahar Ben Jelloun signe un roman très dur sur la société marocaine, ses dérives religieuses, sa misogynie. Il dénonce aussi la corruption, qui est omniprésente. Pour être heureux, il faut fuir.

C’est aussi un roman qui s’inscrit dans la mouvance #metoo. Le drame de Samia, c’est celui de toutes ces jeunes femmes brisées par les agressions sexuelles, mais aussi par le silence et les conventions d’une société qui ne les reconnaît pas comme individu à part entière. Enfin, c’est un très beau roman sur l’écriture et l’importance de la littérature comme outil d’émancipation.

★★★★
Le miel et l’amertume
Tahar Ben Jelloun
Gallimard
256 pages