Le premier roman de Natasha Kanapé Fontaine, Nauetakuan, un silence pour un bruit, sera en librairie le 24 novembre. Son premier album de chansons, Nui Pimuten, est offert depuis vendredi. La poète, comédienne, artiste et militante innue sera en spectacle à Québec le 25 novembre et à la Cinquième Salle de la Place des Arts les 10 et 11 décembre, en plus d’être au Salon du livre le week-end prochain.

Marc Cassivi : La forme d’expression que tu choisis change-t-elle ton regard ou ton propos ? Quelle est pour toi la différence entre la poésie, l’essai, la chanson, le spoken word ou le récit romanesque pour exprimer ta pensée ?

Natasha Kanapé Fontaine : C’est moi sous différentes formes ! [Rires] Pour moi, c’est la même quête. Je vois le roman comme une façon de mettre encore plus de mots sur les univers qui m’habitent. Dans mes recueils de poésie, ce sont des univers qui sont en moi, mais avec une économie de mots. La musique, c’est une autre façon d’être en relation avec le public. L’EP est l’enregistrement des chansons que je fais en spectacle depuis trois ans. Alors que le roman est une autre façon de raconter, qui est plus concrète, moins dans l’abstraction que la poésie. Ce sont des choses que je fais en parallèle. Je travaille sur l’album et le roman depuis trois ans. Le roman est aussi une façon de répondre à tout ce qui s’est passé dans les dernières années.

M. C. : Notamment de la blessure des pensionnats, dont on a beaucoup parlé récemment…

N. K. F. : C’est ce qui a été le plus difficile à écrire. On en parle beaucoup dans l’actualité depuis quelque temps, mais surtout cette année. C’était dur parce que ça déclenchait toutes sortes de sentiments. C’était dur de passer au travers, et de ne plus savoir comment l’aborder dans le roman, pour les autochtones et pour les non-autochtones. Il y a eu beaucoup de réflexion et de travail pour emmener les gens là où je voulais les emmener avec ça. C’était un défi.

M. C. : La question des pensionnats est traitée de manière à faire comprendre que ces traumatismes sont transmis de génération en génération. C’était la prémisse du roman ?

N. K. F. : C’est arrivé en plein milieu de l’écriture, quand il y a eu les découvertes [des dépouilles d’enfants à Kamloops]. J’ai trouvé ça difficile. Je parlais déjà de la filiation et des pensionnats en poésie, de manière plus abstraite, sans nécessairement nommer les choses. Dans Nauetakuan, c’est le résultat de ma réflexion arrivée à maturité. J’ai découvert ces dernières années que j’étais la petite-fille d’une survivante. Je vis avec beaucoup de traumatismes qui m’ont été transmis de façon transgénérationnelle. Quelles sont les conséquences des pensionnats dans nos vies ou dans nos communautés ? On n’a pas d’éducation par rapport à ça spécifiquement.

M. C. : Comment fait-on pour les désamorcer ?

N. K. F. : On arrive à cette réflexion-là. À peser l’ampleur des conséquences. Dans les derniers mois surtout, il m’est paru clair que le livre arrivait à un moment précis dans notre évolution, dans notre histoire commune, et que j’avais envie de contribuer à cette réflexion. Sur le plan personnel, comment puis-je vivre ma vie en sachant que j’ai ces traumas-là ? Avec quels outils je peux les désamorcer et comment faire en sorte qu’ils ne m’empêchent pas d’évoluer ? Il y a différentes manifestations de ces conséquences : les addictions, les patterns, les cycles, comme s’attacher à des personnes toxiques, elles-mêmes blessées.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

« Je vois le roman comme une façon de mettre encore plus de mots sur les univers qui m’habitent », affirme Natasha Kanapé Fontaine.

M. C. : Le premier fil du roman, c’était plutôt la quête identitaire du personnage principal, Monica, inspirée par toi ?

N. K. F. : C’est sûr. Il y a une grande part de fiction, des expériences que j’ai faites miennes, mais aussi ce que j’ai vécu moi-même et comment je l’ai vécu. C’est un mélange de toutes sortes d’expériences et de rencontres. Je me suis rendu compte que je n’étais pas la seule à me sentir un peu déconnectée et à vouloir me retrouver. C’étaient les premières lignes directrices. Quand je suis retournée dans le bois il y a quelques années, ç’a été salvateur. J’ai vraiment compris d’où je venais et qui je suis en canot sur une rivière, loin dans le bois. En sachant que mes ancêtres avaient marché et aimé ce territoire, où ils ont maintenu longtemps un mode de vie. Avec mon père, on est allés dans un endroit où mon grand-père chassait le castor et on a retrouvé les vestiges de leur campement d’il y a 40 ans. J’ai rapporté des objets que j’ai gardés chez moi. De là me sont venues bien des réflexions sur les mémoires intergénérationnelles et génétiques. De retourner dans le bois et de comprendre que c’est de là qu’on vient.

M. C. : Née dans le bois…

N. K. F. : Pourtant, je suis née à l’hôpital de Baie-Comeau ! [Rires]

M. C. : L’album est en quelque sorte le complément du roman, avec des textes qui sont plus revendicateurs, notamment dans le rapport au territoire. Est-ce que ton côté militant s’exprime plus en chanson ?

N. K. F. : Lames de tannage, c’est le premier slam que j’ai écrit, il y a dix ans, avant que je milite dans le mouvement Idle No More. J’ai voulu l’enregistrer. C’est une archive de ce que je voulais exprimer à l’époque.

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M. C. : Lorsque tu revisites le texte, trouves-tu que les choses ont changé ? Cette colère-là, tu la portes encore en toi ?

N. K. F. : Au début, il y avait cette colère de se sentir dépossédés constamment. On aborde des sujets qui sont détournés, alors qu’on veut parler de revendications. Le land back est encore d’actualité. Ça m’a surprise d’entendre le ministre Marc Miller dire qu’il était temps de redonner des terres. Que ça sorte de la bouche d’un ministre, ce n’est pas rien. J’ai vu beaucoup de choses changer pour le mieux. On est encore en train d’apprendre à se connaître et à se comprendre. Il y a beaucoup de conflits de perceptions. Il y a des sujets qui pour nous veulent dire ceci et pour les non-autochtones cela. Il faut constamment redéfinir les choses pour s’assurer de se comprendre. Sinon, parfois je m’inquiète qu’on se décourage dans les communautés parce que ça fait des années qu’on parle de choses et que rien ne bouge.

M. C. : Sur l’album, tu parles d’Oka. Dans le roman aussi. Tu es née au lendemain de la crise…

N. K. F. : Neuf mois plus tard ! [Rires]

M. C. : Il y a eu de l’inspiration là ! Tu parles de la façon dont Oka a pu freiner un élan. Dans quelle mesure ce fut un autre traumatisme ? Est-ce qu’on rattrape ce temps perdu aujourd’hui ?

N. K. F. : Je pense que dans les relations autochtones au Québec, ce fut vraiment un traumatisme. On ne le nomme pas comme ça. On ne veut pas trop en parler. Il y avait à l’époque une forme de propagande : les autochtones sont comme ci et comme ça. Les titres des journaux ont fait peur aux gens. Ils ne voulaient plus voir les autochtones dans les espaces publics. Pour moi, la preuve la plus concrète de comment l’élan a été freiné, c’est Kashtin. Du jour au lendemain, on a boycotté leur musique à la radio. Trente ans plus tard, on arrive avec un Félix de l’artiste autochtone de l’année et plein d’artistes autochtones qui prennent d’assaut les scènes. La musique innue est plus vivante que jamais.

M. C. : Comme la littérature…

N. K. F. : Oui, c’est vrai. En plus, la littérature autochtone permet de mieux nous comprendre. Avec mon roman, c’est ce que j’ai voulu faire. Donner des outils, autant aux autochtones qu’aux non-autochtones, pour vivre de l’intérieur l’expérience d’être autochtone au Québec, au Canada, en Amérique. Mais je l’ai fait d’abord pour moi.

M. C. : Les drames récents – la mort de Joyce Echaquan, la découverte des dépouilles des enfants des pensionnats – peuvent-ils nous mener à une meilleure compréhension ou il n’y a rien de bon à en tirer ?

N. K. F. : Je ne l’ai pas explicitement dit, mais la dernière chanson du EP, Je reste, c’est pour Joyce. Après son décès, je n’ai pas été capable d’écrire du tout. Ma tournée recommençait et je pleurais dans tous les spectacles. C’était dur. Ce poème que j’avais écrit me faisait penser à Joyce. J’avais envie de bercer ses derniers moments en imaginant ce qu’elle a pu vivre. Je n’ai pas regardé la vidéo… Je parle souvent en spectacle du pouvoir de la poésie. Quand je présente ce texte-là, je dis que mon but, c’est de conjurer le sort. De changer le cours des choses grâce à la poésie. C’est sans doute ambitieux, mais c’est ça qui me vient. C’est dur pour moi de dire qu’il y a du bon là-dedans, même si on n’a jamais vu autant de non-autochtones sortir dans les rues pour un enjeu autochtone. Les gens veulent nous appuyer, mais ils ne savent pas toujours comment faire. Il faut des occasions et des lieux où l’on peut se rassembler et continuer ces réflexions-là ensemble. 

Natasha Kanapé Fontaine sera au Salon du livre le vendredi 26 novembre, le samedi 27 novembre et le dimanche 28 novembre pour des séances de dédicaces en plus de participer à la discussion Confidences d’écrivaine animée par Catherine Perrin, le 28 novembre à 20 h.

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Nauetakuan, un silence pour un bruit

Nauetakuan, un silence pour un bruit

XYZ

216 pages