Julie Granger et Marie-Luce Higgins sont enseignantes de français au secondaire, mais aussi passionnées d’écriture. Lorsqu’elles ont commencé à rédiger à quatre mains ce qui est devenu le roman Mardi, elles ne se doutaient pas qu’elles allaient s’embarquer dans la grande aventure de l’autoédition, deux fois plutôt qu’une. Récit.

Marie-Luce Higgins enseigne le français à l’école secondaire La Camaradière, dans la région de Québec. C’est en ces murs qu’elle a fait la connaissance de Julie Granger, enseignante dans le même domaine. Rapidement, les deux femmes se sont liées d’amitié et se sont découvert une passion commune pour l’écriture.

« J’ai tout le temps écrit beaucoup, relate Marie-Luce. J’avais un blogue où je partageais des textes personnels, des réflexions sur ma vie. Julie écrivait aussi ; on avait un style similaire, et je trouvais qu’elle écrivait bien. »

J’ai toujours trouvé que l’écriture, c’est un peu trop solitaire, que ça devrait plus souvent se partager comme passion.

Marie-Luce Higgins

Souhaitant explorer l’écriture à deux, elles ont commencé à se réunir chaque semaine, armées de leur ordinateur et de quelques verres de vin. Elles ont créé les personnages de Mardi : quatre filles qui se retrouvent chaque mardi au bar après leur sortie de course à pied, qui discutent de leurs déboires amoureux, problèmes de couple, questionnements existentiels et décisions souvent discutables, ainsi que Steve, le barman, qui observe tout cela de loin.

Mardi compte aussi un autre personnage : Narrateur Dieu, qui y va de ses remarques lucides, et souvent sarcastiques, sur les personnages, leurs prétentions et leurs illusions, s’adressant directement au lecteur. Un clin d’œil à la théorie narrative, avec laquelle les deux enseignantes s’amusent beaucoup, même sur leur quatrième de couverture.

Une quatrième de couverture, c’est toujours réducteur, souvent insignifiant, jamais loquace. […] Narrateur Dieu trouve l’exercice futile et vain. Il préfère te laisser, lecteur suspicieux, faire la rencontre des vies pas tout à fait droites de quatre filles. […] Sans quatrième de couverture.

Extrait de la quatrième de couverture de Mardi

Et si on s’autoéditait ?

PHOTO ÉRICK LABBÉ, LE SOLEIL

Pour Marie-Luce Higgins et Julie Granger, tout ce projet est d’abord motivé par le plaisir qu’elles ont à écrire ensemble.

À coup de rencontres hebdomadaires étalées sur quelques années, le duo a fini par avoir un roman, qu’il a envoyé à des maisons d’édition. L’une d’elles s’est révélée intéressée… jusqu’à ce que la pandémie vienne chambouler l’ordre des choses.

Voyant la parution repoussée aux calendes grecques, les enseignantes confinées se sont retrouvées avec beaucoup de temps devant elles. Pourquoi ne pas sortir un livre dans ces circonstances, alors ? En effectuant des recherches sur l’autoédition, elles dénichent une plateforme, lulu, qui propose le service non seulement d’impression, mais aussi de vente et d’expédition.

Le tout semblait si simple… mais c’était loin de l’être ! De la relecture en passant par la correction ou encore la complexe mise en page, il a fallu apprendre sur le tas tout ce qu’une maison d’édition fait, note Julie. « Mettre en page un roman, c’est un travail en soi. Le graphisme, les marges, la page couverture… Il a fallu apprendre énormément. Heureusement, on était deux ! »

Et c’est sans compter les droits d’auteur, la création d’un code ISBN et le dépôt aux archives nationales, cette dernière étape étant obligatoire pour quiconque publie un document imprimé destiné à être diffusé publiquement au Québec. « En devenant autoéditeur, tu prends le rôle d’éditeur. Et c’est la responsabilité de l’éditeur de déposer chez nous deux copies, une pour la conservation, l’autre pour la collection nationale », explique Pascale Messier, bibliothécaire au dépôt légal et aux acquisitions à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), qui consacre une bonne partie de son temps à répondre aux questions de ceux qui désirent s’autoéditer.

Consultez le document Petit guide de l’autoédition au Québec de BAnQ

Une fois le livre prêt, et une page Facebook créée pour diffuser la bonne nouvelle plus tard, les deux amies ont mis Mardi en vente en avril 2020. « Je pensais en vendre cinq ! », lance en riant Marie-Luce, qui s’est chargée de la promotion et des réseaux sociaux.

Mais le roman fait rapidement mouche. Après une semaine, il est au sommet des ventes sur lulu. À l’étonnement des autrices, il commence à se vendre en dehors de leur réseau. Elles font aussi du démarchage auprès de quelques librairies indépendantes ; quatre d’entre elles acceptent de prendre Mardi en consignation.

Aujourd’hui, un an et demi après avoir lancé Mardi, elles ont vendu 800 exemplaires de leur roman, dont près d’une centaine en librairie. Un chiffre impressionnant lorsqu’on sait qu’un livre est considéré comme un best-seller au Québec à partir de 2000 exemplaires vendus.

Au tour de Mercredi

Pendant tout ce temps, les romancières n’avaient pas déposé leur plume et ont écrit Mercredi, qui met en scène quatre amis qui se retrouvent au même bar le… mercredi, après leur partie de baseball. Steve le barman et Narrateur Dieu sont toujours de la partie.

PHOTO ÉRICK LABBÉ, LE SOLEIL

Les couvertures de Mardi et de Mercredi ont été réalisées par la fille de Marie-Luce Higgins.

Mercredi terminé, les écrivaines envoient leur manuscrit à des maisons d’édition… un peu à reculons. « On s’est demandé ce qu’on ferait si une maison d’édition nous disait oui, se remémore Marie-Luce, mais finalement, on n’a eu que des refus. On était quasiment contentes ! »

On aime ça, l’autoédition. Notre réussite ne tient qu’à nous, c’est extrêmement gratifiant et ça nous permet d’avoir une liberté totale.

Julie Granger

Elles ne sont pas les seules à choisir cette voie ; d’après les chiffres compilés par BAnQ dans le document Statistiques de l’édition au Québec en 2019, qui sera rendu public en ligne au courant des prochaines semaines, le nombre d’individus qui s’autoéditent a presque doublé entre 2010 et 2019, passant de 372 à 643. Les individus représentent donc 37 % des types d’éditeurs de titres imprimés. « Nos chiffres montrent que l’autoédition augmente, il sera intéressant de voir si la pandémie accentuera ce phénomène », remarque Pascale Messier.

Lancé en juin, Mercredi s’est écoulé à environ 300 exemplaires à ce jour. Et l’aventure est loin d’être terminée. Les deux amies planchent actuellement sur Jeudi, qui met en scène des personnes âgées, sans oublier bien sûr Steve et Narrateur Dieu. Et elles comptent bien ensuite passer à Vendredi, Samedi… et ainsi de suite ! « C’est un projet de vie qu’on a ! », conclut Julie en souriant.

Consultez la page Facebook de Mercredi