L’offre en livres audio augmente, la demande aussi. Or, pour réaliser un bon bouquin pour les oreilles, ça prend la bonne histoire, la bonne voix et la bonne approche. Émile Proulx-Cloutier, Dominique Pétin et Dan Bigras, qui ont prêté leur voix à au moins un livre, décortiquent cette alchimie.

« C’est comme si tu faisais une passe », résume Émile Proulx-Cloutier. En enregistrant sa lecture de la trilogie de La bête, le comédien et auteur-compositeur-interprète se percevait comme un relais entre l’auteur, David Goudreault, et l’auditeur. « Le narrateur n’est pas censé avoir une personnalité, il est censé s’effacer », souligne aussi Dominique Pétin, notamment lectrice de Kukum, le succès de Michel Jean.

PHOTO MÉLANIE VACHON, FOURNIE PAR L’AGENCE M

Dominique Pétin a prêté sa voix à quelques livres audio, dont Kukum, de Michel Jean.

« Le livre audio, ce n’est pas une émission de radio, expose Fouad Dautovic, responsable du casting chez Vues et Voix, entreprise d’économie sociale qui a produit des dizaines de livres audio québécois. Il faut penser au contexte dans lequel une personne écoute : chez elle, dans la voiture, dans un endroit calme. Elle s’attend à ce qu’on lui raconte une histoire, ce qui change la façon de la dire. »

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Le spécialiste de la littérature pour l’oreille ne manque pas de boulot : près de 300 titres devraient être conçus cette année par Vues et Voix, soit cinq fois plus qu’il y a deux ans. Avant d’approcher des agents d’artistes, il doit passer chacun des textes au peigne fin pour en saisir les enjeux, le ton, la mécanique. Ce travail lui permet de constituer un document qu’il appelle la « fiche casting ».

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Fouad Dautovic, responsable de la distribution chez Vues et Voix

« Je cible aussi un passage que je juge représentatif du texte, qui mélange dialogue et narration, explique-t-il. Il est important pour moi de savoir si la personne qui lira est capable de moduler suffisamment son ton et sa voix, peut-être même son accent. Si on a une narration plutôt neutre, un personnage adulte et un autre qui est enfant, est-ce que cette voix peut restituer tout ça ? »

Certains auteurs, comme la comédienne Francine Ruel, assurent eux-mêmes la transposition audio de leur livre. Dan Bigras a lui aussi lu sa biographie, Le temps des seigneurs. « Ç’a été plus complexe d’écrire le livre que de le lire », dit-il. Fouad Dautovic constate toutefois que rares sont les auteurs qui arrivent à rendre justice à leurs propres œuvres. « Les comédiens sont souvent meilleurs », dit-il.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Dan Bigras

Je voulais que les gens aient l’impression que j’étais à côté d’eux, en train de leur parler doucement.

Dan Bigras

En plus d’avoir l’habitude de travailler des textes, les acteurs possèdent en général les compétences techniques nécessaires (sur le plan de la diction, par exemple) pour le rendre intelligible. « Ce qui va jouer aussi, c’est que, pour un texte, il peut m’arriver d’avoir envie d’une voix plus chaude, plus mûre ou que la diction soit plus lente », ajoute le responsable de la distribution de Vues et Voix.

Une ambiance sonore

Dominique Pétin constate que c’est « toute une ambiance sonore » que les éditeurs achètent en faisant appel à untel ou unetelle. « Ils connaissent nos timbres de voix et notre débit », précise-t-elle.

Sa voix à elle est plutôt jeune et cristalline. Ce qui ne l’a pas empêchée d’être celle de Kukum, dont la narratrice est une femme âgée. « Il n’était pas question pour moi de composer une voix de femme âgée, dit-elle toutefois. J’ai opté pour un débit plus lent et c’était suffisant dans ce cas-ci. »

IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Kukum, de Michel Jean

La comédienne lit en général les 50 à 60 premières pages d’un livre avant de commencer à enregistrer, ce qui lui permet d’en apprivoiser le rythme, le ton et les structures de phrase. « Ça demande une préparation assez importante, mais de 50 à 60 pages, ça me suffit à comprendre comment l’auteur fonctionne », assure-t-elle.

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Dan Bigras avoue avoir cherché ses marques quand il a commencé Gerry Boulet – Avant de m’en aller, biographie du chanteur d’Offenbach signée Mario Roy et écrite dans un français plus relevé que la langue parlée dans laquelle il se sent plus à l’aise. Ça s’est finalement passé comme lorsqu’il joue avec un nouveau musicien : « À force de jouer ensemble, on devient une unité, dit-il. Il y a quelque chose qui s’est habitué tout seul. »

IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Gerry Boulet – Avant de m’en aller, de Mario Roy

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Invité à lire La bête à la suggestion de son auteur, Émile Proulx-Cloutier estime avoir « pogné le jackpot ». L’écriture de David Goudreault joue beaucoup sur les doubles discours et une distorsion de la réalité qui n’est pas simple à rendre pour un lecteur interprète. Il a fini par trouver sa musique, lui aussi.

Tu dois trouver un rythme, une énergie pour chaque personnage, pas nécessairement une voix.

Émile Proulx-Cloutier

IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

La bête intégrale, de David Goudreault

« Tout est une question de séduction à l’oreille, mais il ne faut pas faire joli non plus. Il ne faut pas être guidoune », souligne Dominique Pétin. Elle-même amatrice de livres audio, elle dit en écouter toujours un extrait avant de l’acheter. « Et ça se peut que je ne l’achète pas parce que la voix ne me plaît pas, qu’elle ne correspond pas au type de voix que j’aimerais avoir pour m’accompagner dans ce voyage-là, dit-elle. C’est intuitif. »

« Tu peux avoir de la clarté, de la pureté, une voix professionnelle, mais je pense que dans le livre audio, il faut aussi que ce soit personnel, estime Émile Proulx-Cloutier. Même si ce n’est pas ton roman, il faut que ce soit ta lecture. Si tu es impersonnel, là, c’est plate. »