Il y a de ces albums qui happent dès les premières pages. Comme Le divin scénario, où l’Olympe est une boîte de nuit, l’évangéliste Luc, un scénariste aux idées alambiquées, et l’Archange Gabriel, un employé désinvolte à qui Dieu confie la mission délicate de trouver la mère de son représentant sur Terre ! Résultat : une BD à l’humour vif et au dessin foisonnant qui est une occasion de réfléchir à l’amour.

Un récit décalé

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Extrait de la bande dessinée Le divin scénario, de Jacky Beneteaud et Fabrizio Dori

Quelque chose se trame au royaume de Dieu. En fait, c’est un peu la panique : le « boss » est déçu de la Terre, où tout n’est que « violence, sauvagerie, barbarie, domination du plus fort sur le plus faible, du plus riche sur le plus pauvre, distractions brutales et vulgaires, corruption des élites, abrutissement des peuples ». Sur une idée de l’évangéliste Luc, Dieu demande à l’Archange Gabriel de trouver cette « femme qui lit » qui doit devenir la mère de son représentant sur Terre, par l’entremise d’un procédé qui exclut tout contact physique… Gabriel doute, mais Luc est formel : « Avec les humains, plus c’est gros, plus ça passe ! » L’objectif suprême de cette supercherie : imposer la « marque » de Dieu sur la planète. « Les Grecs, les Romains et leur cirque polythéiste ont fait leur temps », tranche le patron.

Une image venue de l’enfance

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« S’agissant de mon travail d’écriture, je me sens autant attiré par l’idée de développer une histoire plutôt romantique ou plutôt humoristique », dit le scénariste Jacky Beneteaud.

L’idée de jouer avec le thème de l’Annonciation découle d’une superposition d’images qui s’est faite dans la tête du scénariste Jacky Beneteaud. Enfant, il dit avoir été « foudroyé » par l’image d’une fille de sa classe lisant à voix haute, par ses « cheveux aux boucles dorées caressées par la lumière du soleil ».

L’image de cette fille en train de lire est restée associée à ma première expérience sensorielle du sentiment amoureux.

Jacky Beneteaud, scénariste, dans un échange de courriels avec La Presse

Ce souvenir lui est revenu en voyant une sculpture italienne datant de 1421 censée représenter l’Annonciation. La scène n’étant pas pour lui « encombrée » par sa signification religieuse, le scénariste s’en est servie comme point de départ d’un voyage à travers l’Histoire et les histoires inventées par l’être humain pour parler d’amour.

Traversée littéraire

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Extrait de la bande dessinée Le divin scénario, de Jacky Beneteaud et Fabrizio Dori

On pense d’abord, en lisant ses premières planches, que Le divin scénario sera une sorte de réécriture du Nouveau Testament. Or, le récit prend vite les allures d’un voyage dans l’histoire de la littérature, évoquant d’abord Homère, Les mille et une nuits, La divine comédie et, bien plus tard, Madame Bovary. « Marie est la femme qui lit [selon la description donnée à Gabriel], relève Jacky Beneteaud. Il fallait donc trouver des lectrices, connues de préférence, pour concevoir ces Annonciations successives. Dans le domaine de la littérature, Shéhérazade s’impose évidemment, ainsi qu’Emma Bovary. »

De l’Antiquité à l’ère contemporaine, il emprunte des figures littéraires marquantes, prenant surtout soin qu’elles incarnent des visions différentes de l’amour, qu’il s’agisse de l’amour courtois prisé par la Guenièvre médiévale ou des mœurs libérées de l’époque contemporaine. « L’Annonciation s’accompagne d’une certaine soumission féminine, souligne le scénariste. Il était impératif que, dans cette version-ci, l’ange rencontre des femmes qui puissent au contraire affirmer leur désir de liberté et l’exercice de leur volonté. »

Un univers de clins d’œil

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« Il y a une moquerie assez gentille [dans Le divin scénario], estime le dessinateur Fabrizio Dori. Il n’est pas nécessaire de désacraliser les choses parce que tout est déjà désacralisé. »

Le dessinateur Fabrizio Dori dit avoir été séduit d’emblée par l’idée rigolote de Jacky Beneteaud et sa façon de faire des pastiches. « C’est un peu ma façon de travailler l’illustration que de citer, de jouer avec les styles », dit le bédéiste, qui a notamment signé un album autour du peintre Gauguin. Il a donc pris plaisir à s’inspirer tant de l’art perse que de l’art grec, de la peinture (Les hasards heureux de l’escarpolette, de Fragonard, notamment) ou du cinéma, se réappropriant les styles sans pour autant les reproduire.

 Il n’était pas nécessaire d’être scrupuleux dans la mise en scène des époques, regarder l’art de l’époque suffisait.

Fabrizio Dori, dessinateur du Divin scénario

Ce jeu de références est une seconde nature pour lui. « Il est normal pour moi de penser à l’art quand je vois quelque chose, renchérit le dessinateur, lors d’un entretien sur Zoom. Quand je vois un paysage, je vais peut-être penser à Monet. Ce sont des liens qui se font dans ma tête, c’est ma réalité augmentée. »

Histoire d’humour

Extraits du Divin scénario, de Jacky Beneteaud et Fabrizio Dori
  • Extrait de la bande dessinée Le divin scénario, de Jacky Beneteaud et Fabrizio Dori

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    Extrait de la bande dessinée Le divin scénario, de Jacky Beneteaud et Fabrizio Dori

  • Extrait de la bande dessinée Le divin scénario, de Jacky Beneteaud et Fabrizio Dori

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    Extrait de la bande dessinée Le divin scénario, de Jacky Beneteaud et Fabrizio Dori

  • Extrait de la bande dessinée Le divin scénario, de Jacky Beneteaud et Fabrizio Dori

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    Extrait de la bande dessinée Le divin scénario, de Jacky Beneteaud et Fabrizio Dori

  • Extrait de la bande dessinée Le divin scénario, de Jacky Beneteaud et Fabrizio Dori

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    Extrait de la bande dessinée Le divin scénario, de Jacky Beneteaud et Fabrizio Dori

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On lit Le divin scénario avec ses propres limites : impossible de capter toutes les références dont ce généreux album (183 pages !) est truffé. Jacky Beneteaud voit ces clins d’œil (qui vont des Trois petits cochons à la chanson Louxor j’adore, de Katerine, en passant par Superman) comme des « bonus », mais a pris soin qu’ils ne soient pas nécessaires de les saisir pour garder le fil de son histoire. Le liant de tout ça, outre le dessin riche, coloré et le trait souple de Fabrizio Dori, c’est l’humour.

Si le scénariste multiplie les ruptures de ton, il ne se défait jamais de cette fine ironie, qui passe notamment par la désinvolture de Gabriel, dont la sonnerie de cellulaire (oui, oui) est « Kyrie Eleisonne » (sic) et qui est du genre à demander à la reine Guenièvre si elle manque de vaisselle lorsqu’elle réclame le Graal… « Son caractère s’est formé en épousant cette voix : le type pas compliqué, prêt à faire de son mieux, mais un peu naïf, légèrement dilettante, aimant la vie et ses plaisirs », détaille le scénariste. L’émissaire de Dieu est en effet celui à qui profite le plus cette odyssée amoureuse !

Le divin scénario

Le divin scénario

Actes Sud – L’an 2

183 pages