(Saint-Sauveur-en-Puisaye) Deux pionnières de la littérature féminine de part et d’autre de l’Atlantique : la Française Colette a trouvé sa sœur jumelle avec la Canadienne Gabrielle Roy.

Une génération et plus de 6000 km les ont séparées, mais Gabrielle Roy et Gabrielle Colette « n’ont pas que le prénom en commun », souligne Frédéric Maget, directeur général de la Maison de Colette à Saint-Sauveur-en-Puisaye, à deux heures au sud de Paris, qui consacre une exposition aux deux femmes.

C’est là qu’a vu le jour l’autrice française iconoclaste et avant-gardiste en 1873.

Gabrielle Roy, une des écrivaines canadiennes francophones les plus lues dans le monde, est née 36 ans plus tard, en 1909 à Saint-Boniface, une communauté francophone de la province du Manitoba, dans l’Ouest canadien.  

Mais, comme Colette, Gabrielle Roy évolue dans un monde où la femme devait rester au foyer conjugal.  

« Toutes deux se sentent prisonnières, mais elles vont s’élever au-dessus de leur sort », explique Samia Bordji, directrice du Musée Colette qui, avec la Maison de Colette toute proche, accueillent l’exposition « Colette et Gabrielle Roy, la liberté en partage », jusqu’à fin octobre.

Sido, la mère de Colette, a dû dire adieu au milieu littéraire de son enfance pour rejoindre dans un coin reculé de la Bourgogne un ivrogne à qui on la marie de force.  

Quant à Mélina Roy, la mère de Gabrielle, sa famille avait rallié les caravanes de chariots de colons tirés par des bœufs qui quittaient le Québec à la conquête du Far West canadien. La mission était de créer dans les plaines infinies du Manitoba un autre Canada français et catholique : Mélina Roy se retrouva cantonnée au rôle d’« enfantrice », ce qu’elle fera onze fois. « Elle va en nourrir une aigreur », selon M. Maget.

Enfants, les deux Gabrielle reçoivent ainsi la soif de liberté en héritage. « Leurs mères leur lèguent leurs rêves inassouvis », explique M. Maget.  

« Miroir de Colette »

Mais pour s’extraire de leurs conditions, les écrivaines tâtonneront longtemps. Colette verra d’abord son salut dans le mariage – « Je n’avais pas le choix », dira-t-elle plus tard –, tandis que Gabrielle Roy embrassera une carrière d’institutrice.

Toutes deux déchanteront, mais auront le courage de briser les chaînes. Colette divorcera tandis que Gabrielle Roy fera le long voyage pour l’Europe. Elle s’essaiera au métier de comédienne, mais sans avoir le succès immense que connut Colette. Il est vrai que la Canadienne, elle, n’osa pas montrer ses seins sur scène.  

Finalement, c’est le journalisme qui sera « leur école d’écriture à toutes deux », selon Mme Bordji. « Pour moi, les reportages ont été mon apprentissage », résumera la Manitobaine. Tout comme Colette qui aura tout couvert, du Tour de France au massacre de Verdun, Gabrielle Roy privilégie le journalisme « de terrain » : elle dévoile la condition des Inuits puis découvre la misère noire du quartier ouvrier de Saint-Henri, à Montréal.  

Ce sera sa révélation : en 1945, paraît Bonheur d’occasion qui décrit cette déchéance sociale. Le livre est traduit en une douzaine de langues et reçoit en France le Prix Femina.

Devenue écrivaine de la condition humaine, Gabrielle Roy dénonce toutes les oppressions, qu’elles soient contre les autochtones, les ouvriers ou ces « besogneuses, des femmes du peuple », comme elle écrit dans Bonheur d’occasion.

Tout comme Colette à son époque, elle devient ainsi une « pionnière de l’écriture féminine », titre d’une thèse de Jacqueline Le Vaillant Byrne (University at Albany, 2008).

« Elles ont défriché le terrain pour les femmes dans la littérature », acquiesce Sébastien Gaillard, directeur de la Maison Gabrielle Roy, à Saint-Boniface, où une exposition similaire aura lieu dès le 23 septembre. C’est M. Gaillard qui, en 2018, a contacté la Maison de Colette pour proposer un jumelage puis une exposition.  

Car Gabrielle Roy est « le miroir de Colette », assure-t-il à l’AFP. La Canadienne a défendu comme elle « les femmes et leur liberté ». Mais ni l’une ni l’autre « n’étaient féministes ». Gabrielle Roy refusait de s’enfermer dans une quelconque catégorie tandis que Colette avait préconisé « le harem et le fouet pour les suffragettes », rappelle-t-il.