Il y a des artistes qu’on reconnaît par leur nom de famille : Charlebois. D’autres, par leur petit nom : Clémence. Elle, ce n’est ni l’un ni l’autre. Elle, c’est Mouffe. Un surnom qui sonne comme un coup de théâtre et va comme un gant au rôle de magicienne des coulisses qu’elle a joué pendant des décennies et que raconte un récit biographique intitulé Mouffe — Au cœur du showbiz.

« Ceux qui ont à savoir le savent », dit souvent Mouffe. Celle qui fut la muse de Charlebois, l’une des quatre enfants terribles de L’osstidcho, la metteuse en scène du spectacle Magie rose de Diane Dufresne et d’innombrables galas de l’ADISQ n’a jamais cherché à être sous le feu des projecteurs. « La reconnaissance, qu’ossa donne ?, comme dirait Yvon [Deschamps] ! » lance-t-elle.

Son nom ne brille pas autant que celui des personnes avec qui elle a travaillé, mais il est là, souvent en petits caractères avec des titres comme directrice artistique ou metteuse en scène. Ou comme comédienne au générique de films de Jean-Pierre Lefebvre et Pierre Harel. Il est aussi associé à plusieurs chansons phares de celui dont elle fut la muse : Robert Charlebois. Il lui doit d’ailleurs les paroles de celle qui lui colle le plus à la peau : Ordinaire.

La contre-culture chez les bourgeois

Mouffe a longtemps résisté à l’idée qu’on fasse de sa vie un livre. La journaliste et auteure Carmel Dumas, qu’elle connaît depuis 30 ans, l’a talonnée pendant des années pour qu’elle accepte d’être l’objet d’une Mouffographie — elle n’aime pas que les choses aient l’air trop sérieuses — qui relate l’étonnant parcours d’une jeune fille née dans une famille bourgeoise d’Outremont et qui demeure irrémédiablement associée à la contre-culture québécoise.

Je n’avais pas d’ambition ni de plan de carrière. Je m’inventais à mesure. »

Mouffe

L’enfance de Mouffe, née Claudine Monffette, sert bien sûr d’amorce. Or, une bonne moitié du livre porte sur la douzaine d’années où elle a été l’amie, l’amoureuse et la cocréatrice artistique de l’univers de Robert Charlebois, qu’elle a connu à l’École nationale de théâtre. Ce sont les années de Terre des bums avec Jean-Guy Moreau, de L’osstidcho avec Yvon Deschamps, Louise Forestier, Charlebois et le Jazz libre du Québec et des premiers disques de Garou, premier du nom.

On redécouvre la faune qui passait par la maison de ses parents, rue Dunlop, à Outremont : Charlebois, évidemment, mais aussi Claude Dubois, Claude Péloquin, Michel Robidoux, Pierre Harel et une certaine Marjolène Morin… « Marjo sortait avec mon frère, Pierre Harel avec ma sœur et mon père adorait Claude Dubois, qui était son voyou préféré », raconte Mouffe.

« C’était comme une sorte de maison de la culture alternative : les gens venaient manger à la maison, il y a en a qui dormaient dans le sous-sol », se rappelle-t-elle. Mouffe n’en démord pas : le tournant des années 1970 était une belle période pour être jeune. « Les murs tombaient, les portes s’ouvraient, insiste-t-elle. C’était une époque où tout était possible. Quand on avait une idée, on pouvait la réaliser. »

Une « femme de ménage »

Mouffe, très tôt, s’est retrouvée dans le rôle de guide artistique. Sensible et organisée, elle voyait aux enchaînements, prenait des décisions techniques, mettait tout en œuvre pour générer et concrétiser des idées qui allaient mettre en valeur l’artiste qu’elle accompagnait. « Au début, je le faisais par amour pour une seule personne », dit-elle en parlant de Robert Charlebois.

Lorsqu’ils ont rompu, sa vie professionnelle a dû prendre un autre tournant. « Je me suis retrouvée à faire des mises en scène pour gagner ma vie, parce que je me retrouvais sans le sou », explique-t-elle. Mouffe s’était toutefois déjà fait un nom. Et au cours des décennies suivantes, elle a continué à brasser des idées et à collaborer avec quantité d’artistes, dont Renée Claude, Nicole Martin, Louise Portal et bien sûr Diane Dufresne.

« Je disais toujours que j’étais une femme de ménage [artistique]. Je trouvais des solutions, des façons de maquiller, d’améliorer, d’agrandir au besoin », explique-t-elle. Avec un seul souci en tête, insiste Carmel Dumas : faire en sorte que l’artiste qu’elle accompagne se révèle à lui-même et au public.

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS LA PRESSE

Mouffe – Au cœur du showbiz, de Carmel Dumas

Mouffe – Au cœur du showbiz. Carmel Dumas. Éditions La Presse. 277 pages.