Lire Les rosemonteries en pleine quarantaine, c’est se projeter, avec un brin de jalousie, dans un Montréal grouillant de vie, lors d’une journée caniculaire de la Saint-Jean-Baptiste.

Les Rosemontois s’y retrouveront avec plaisir alors que l’auteur – qui est aussi directeur du salon de dégustation MaBrasserie et essayiste (La culture du divertissement – Art populaire ou vortex cérébral ?) – fait apparaître avec vivacité au détour des pages des endroits qui en tissent le cœur et l’âme, certains plus malfamés que d’autres, témoin d’un quartier populaire en profonde transformation : la Promenade Masson et ses divers commerces, les dépanneurs du coin, Le Capri, ses différents parcs… et, évidemment, MaBrasserie.

Adam, le narrateur et protagoniste de ce récit halluciné, n’a pas la grande forme. Alter ego fictif de l’auteur, il est brasseur chez MaBrasserie, carbure à la bière et à d’autres substances, s’oublie dans le travail et néglige son couple. On le retrouve lorsqu’il se réveille après une soirée particulièrement arrosée, alors que sa blonde vient de le laisser : « Première journée de congé depuis 65 jours, depuis qu’un collègue s’est échappé un baril sur le pied. […] Soixante-cinq jours, c’est ce qu’il a fallu à Anaïs pour faire le ménage dans sa tête, ramasser ses affaires et voguer vers ce qu’elle a nommé son “réel amour inattendu”. »

« Est-ce que je devrais me morfondre ou juste chiller ? », se demande-t-il, incapable de prendre la mesure réelle de ce qui lui arrive. N’ayant qu’une seule idée en tête – se soûler dans son hamac, sans rien faire –, il sort de chez lui pour se ravitailler.

La crise

Mais rien ne se déroulera comme prévu en cette journée étouffante où la chaleur engourdit tout. Venu faire des provisions de bière à son travail, il se retrouve plongé à son grand dam dans une crise, parce que la machine à glycol permettant de garder la bière au frais est brisée. Devant trouver une façon de dénouer cette impasse, il entame son « propre Compostelle en gougounes » et se fait entraîner (ou s’entraîne lui-même) dans une succession de revirements absurdes qui l’amèneront aux quatre coins de Rosemont, prisonnier d’un rouage infernal qui semble s’acharner sur sa destinée. « Je suis esclave du climat continental humide et de la tension festive. »

Sur sa route, il croisera personnages marginaux et poqués de la vie, tout en enfilant les considérations cyniques sur la puérilité de l’existence et de tout ce qui va mal dans notre monde bouffé tout rond par le capitalisme et tout en ruminant sur sa relation avec Anaïs, mais aussi avec son frère, mort trop tôt. Chemin faisant, il enfile des microdoses de LSD, alors que sa quête de plus en plus vaine se pare des volutes colorées et hallucinogènes du psychotrope. Une à une, alors que le jour laisse place à la nuit et que la noirceur est remplacée par l’aube, se décolleront les couches de l’armure où il s’était réfugié depuis des années.

Écrit dans une langue qui ne prend pas de pincettes, mais qui sait être bien tournée, Les rosemonteries porte sa part de poésie. On a d’ailleurs beaucoup aimé que chaque vers du poème présenté en incipit du livre corresponde aux titres des chapitres de ce livre qui se lit d’une traite. Notre prescription pour oublier ce satané virus, l’espace de quelques heures.