L’actuel gouvernement turc n’est pas tendre envers les femmes, et encore moins envers les écrivaines. Pensons à Aslı Erdoğan, dont le procès pour « propagande terroriste » doit débuter le 14 février. Si elle est trouvée coupable, la romancière risque la prison. Pensons aussi à Elif Shafak, autrice de 10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange, un roman riche et foisonnant.

Militante en faveur des droits des femmes et des minorités, Shafak est une des écrivaines les plus lues en Turquie. En 2006, elle s’était attiré les foudres du régime Erdoğan en publiant La bâtarde d’Istanbul, un roman qui abordait entre autres la délicate question du génocide arménien. Et qui lui avait valu un procès pour « insulte à l’identité turque ».

Sa grande popularité ne la protège toutefois pas des assauts du régime. Elle vit donc en exil à Londres, où elle écrit ses romans en anglais.

Dans 10 minutes…, un roman qui, par ses images fortes, ressemble parfois à un film d’Almodóvar, Shafak ne se défile pas, loin de là. Par la voix de « Tequila » Leila, une travailleuse du sexe sauvagement assassinée et dont le corps gît dans une poubelle, Elif Shafak parle de la difficile condition des femmes et des rapports de forces entre les sexes au sein de la famille turque.

Loin des clichés de carte postale et autres descriptions exotiques, l’autrice dépeint aussi la ville d’Istanbul, pour laquelle elle a visiblement beaucoup d’affection, sous une lumière très crue. C’est la Turquie des marginaux, de ceux et celles qu’on n’entend jamais.

Dans 10 minutes..., Shafak n’a pas peur de dénoncer la violence et l’hypocrisie de cette société minée par un régime populiste et autoritaire. Par le truchement de la fiction, Shafak prouve une fois de plus qu’elle n’a pas l’intention de se taire face aux menaces et à l’intimidation. On l’admire encore plus pour cela.

★★★

10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange, Elif Shafak, Traduit de l’anglais par Dominique Goy-Blanquet, Flammarion.