Avec son autobiographie Sois toi et t’es belle, Ève Salvail plonge dans ses souvenirs et se livre en toute vulnérabilité sur sa vie de top-modèle sur les passerelles internationales, abordant au détour des sujets sensibles comme sa dépendance à l’alcool. Un acte libérateur pour celle qui s’est fait connaître comme « la première mannequin à la tête rasée ».

À la lecture passionnante de cette vie haute en couleur et en émotions, pas de doute : l’existence d’Ève Salvail n’a rien d’un long fleuve tranquille. « Tranquille ? Je ne connais pas ce mot ! », lance au bout du fil celle qui a été mannequin, mais qui est d’abord et avant tout une artiste dans l’âme qui s’est exprimée au cours de sa vie avec différents moyens comme le chant, le dessin, en tant que DJ ou designer.

Au fil des pages de cette autobiographie parsemée de ses dessins et de témoignages de gens qui l’ont connue à diverses époques, elle dévoile les dessous de son métier, mais aussi de sa vie personnelle, elle qui a défilé pour les plus grandes maisons de couture, dont Chanel et Versace, et qui a fréquenté les plus grands couturiers, mannequins et stars, dont Jean Paul Gaultier. Ce dernier l’a en quelque sorte mise au monde après avoir vu une photo d’elle dans les rues de Montréal et l’avoir engagée, sans même l’avoir rencontrée, pour son défilé à la Semaine de la mode de Paris.

Gaultier signe d’ailleurs la préface de cet ouvrage intitulé Sois toi et t’es belle, témoignage d’une transformation intérieure qui s’est opérée chez Salvail depuis quelques années. « C’était difficile au début de m’ouvrir, parce que j’ai passé ma vie à être belle et à me taire, explique-t-elle. Mais quand j’ai compris où il fallait que j’aille, c’est devenu un bel exercice d’introspection. »

Convier ses souvenirs et parler à ses proches lui a rappelé le beau comme le plus laid. « Ça m’a vraiment ramenée dans la gratitude d’être ici aujourd’hui, d’être en vie et sortie de mon bas-fond alcoolique », lance avec franchise une Ève Salvail aujourd’hui sobre, qui raconte notamment ses années de dépendance à l’alcool, son abstinence et sa dure rechute dans son livre. « Il faut demander de l’aide, conseille-t-elle. J’ai eu de la misère longtemps à le faire, mais maintenant, je sais que personne ne va me taper sur les doigts si je tends la main, mais qu’on va plutôt me sortir de l’eau, des sables mouvants. »

Les multiples Ève

Ce sont les conférences qu’elle donne depuis quelques années autour de l’échec qui ont planté les graines de ce projet de livre. « Les gens pensent souvent que les célébrités, les gens qui ont eu beaucoup de succès, tout leur est donné, tout est beau. Mais pendant qu’on sourit, c’est la tempête à l’intérieur. »

Armée de sa plume, Salvail dit « les vraies affaires ». D’emblée, elle écrit dans l’introduction du livre, intitulée « Dans mes têtes », que toute sa vie durant, elle s’est créé des personnages, « pour survivre, pour éviter de [se] dévoiler, pour être forte, pour ne pas avoir peur, pour établir une distance… », et les présente tour à tour : le personnage principal, la Ève Salvail figure publique, capable de se couper du monde et qui sait prendre si bien la pose, « dont j’essaie de me défaire en écrivant ce livre », mais aussi la Ève alcoolique, le clown, la punk, l’enfant blessée…

Elle revient sur son enfance, présente « la petite fille de Matane » qui a été adoptée, une situation qui a profondément changé son rapport au monde et à elle-même, et dont elle a traîné longtemps le poids, jusqu’à ce qu’elle rencontre sa mère biologique. Elle parle aussi de son enfance heureuse, où ses parents adoptifs, qu’elle adore, lui ont permis de laisser libre cours à sa créativité et à son imaginaire.

Ève Salvail est née avec une dysplasie aux hanches qui aurait pu l’empêcher de marcher, ce qui est assez ironique, souligne-t-elle, comme elle en a fait sa profession. D’ailleurs, l’expression anglaise « against the odds » (contre toute attente) résume assez bien son parcours, elle qui a déjoué toutes les probabilités, que ce soit comme punk marginale qui remporte le prix de photogénie au concours Miss Clin d’œil , ou en devenant la première mannequin à la tête rasée – et tatouée – à défiler sur les passerelles internationales, une idée fixe qu’elle avait et dont jamais personne n’a pu la détourner.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Ève Salvail n’a jamais pris le chemin facile.

Tous mes accomplissements ont commencé par des portes fermées, mais je n’ai jamais voulu prendre le chemin facile. Même si tu me donnes une belle route asphaltée, c’est sûr que je vais toujours prendre celle en garnotte avec des branches et de la bouette !

Ève Salvail

Elle raconte également ses premières expériences désastreuses comme DJ – « j’en ai vraiment vidé des clubs à New York ! », lance-t-elle en riant –, et également sa tentative avortée de lancer une marque de hoodies de luxe en se faisant fermer la porte au nez par les Reitmans et Simons de ce monde, un projet qu’elle a finalement réalisé avec le designer Pascal Labelle.

Le grand bleu

En se livrant ainsi, Salvail plonge dans ses profondeurs et donne accès à ce qui grouillait sous la surface des choses alors qu’elle vivait une existence glamour enviée de tous. Elle y raconte sans détour ses relations amoureuses toxiques, son homosexualité, ses écueils, ses angoisses.

Pendant tout ce temps, j’essayais de flotter dans l’océan de la vie sans laisser les muscles de mon corps se détendre. […] J’étais trop agitée pour suivre le courant et je cherchais à comprendre pourquoi je plongeais constamment sous la surface.

Extrait de Sois toi et t’es belle, d’Ève Salvail

La métaphore de l’eau traverse le livre, un élément qui occupe une grande importance dans la vie d’Ève Salvail, elle qui a été introduite très jeune à la plongée dans les lacs que son père, Reno, avait fait creuser derrière leur maison.

Elle raconte d’ailleurs que ces moments empreints de sérénité et de calme ont été pour elle un refuge qu’il suffisait d’évoquer pour traverser les tempêtes. « L’eau, c’est mon safe place. Être sous l’eau, c’est tellement merveilleux ! »

C’est aussi là que se cachait toutes ces années la « petite fille de Matane », qui, grâce à ce livre et au chemin parcouru, peut enfin exister dans la pleine lumière.

Ève Salvail participe au volet Confidences du Salon du livre de Montréal en compagnie de Geneviève Borne. Le tout sera diffusé gratuitement sur la plateforme web de l’évènement le 14 novembre à 19 h 30.

> Consultez la page de l’évènement sur le site du Salon du livre

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS DE L’HOMME

Sois toi et t’es belle, d’Ève Salvail

Sois toi et t’es belle, Ève Salvail, Éditions de L’Homme, 256 pages