Dans Le Temps gagné, son premier roman, le très médiatisé philosophe Raphaël Enthoven règle ses comptes avec son passé dans un récit à clés qui fait jaser à Paris. Si les dessous de la vie privée des intellectuels du 6e arrondissement vous fascinent, ce roman est pour vous. Mais si vous êtes allergique à la méchanceté gratuite, peut-être que vous n’apprécierez pas cette (trop) longue lecture.

Avant de parler du livre, il faut présenter quelques personnages-clés de la constellation Enthoven.

Il y a donc l’auteur, philosophe hyper connu dans la francophonie, très actif sur Twitter et véritable vedette en France. Il y a ses parents, Catherine David, critique littéraire, auteure et pianiste, et Jean-Paul Enthoven, écrivain et éditeur. Il y a son ex-femme, Justine Levy (rebaptisée Faustine dans le roman), écrivaine et fille du philosophe Bernard-Henri Levy (BHL, rebaptisé Elie Verdu), pour qui Enthoven a « déjà eu » de l’admiration. Enfin, il y a le psychanalyste Isi Beller, conjoint de la mère d’Enthoven, beau-père détesté qui porte le nom d'Isidore ou « le Gros » dans le livre, et dont l’auteur se plaint durant au moins les 200 premières pages du roman (précisons qu’on ne minimise absolument pas la violence dont a pu être victime Enthoven lorsqu’il était enfant). À noter qu'Isi Beller a entamé des poursuites judiciaires contre son ex-beau-fils qui l’accuse de l’avoir violenté et intimidé.

Enfin, il y a Carla Bruni, alias Beatrice Luca, qui a été la compagne d'Enthoven père avant de devenir celle d'Enthoven fils, avec qui elle a eu un enfant (au total, Raphaël Enthoven a eu quatre fils de quatre femmes différentes ; sa dernière compagne au moment de publier était Adele Van Reeth, animatrice de l’émission Les chemins de la philosophie, qui vient elle aussi de publier un roman, La vie ordinaire, chez Gallimard). Vous suivez toujours ?

Une dernière information pour bien comprendre le contexte malsain de la publication de ce livre : lorsque Raphaël Enthoven a quitté sa femme pour vivre au grand jour sa relation avec Carla Bruni, Justine Levy a publié Rien de grave, roman dans lequel elle racontait cette douloureuse séparation. Carla Bruni y portait alors le nom de Terminator

Est-ce la vengeance qui a motivé Raphaël Enthoven à écrire sa version des faits ? La question se pose.

Toujours est-il que Le Temps gagné suinte la haine, la médisance et la trahison à chaque page.

Il faut donner ça à Enthoven, il ne se donne pas nécessairement le beau rôle : il a trompé Justine Levy du premier au dernier jour de leur relation, et il ne s’en cache pas. Pire, il le raconte avec moult détails dans ce roman et reproche même à son ex son échec lors du premier examen d’agrégation en philo. Voyez-vous, Justine (oups, Faustine !) avait découvert une de ses (nombreuses) infidélités et il avait dû passer la nuit sur le divan, pauvre chou. Résultat, il n’a pas offert une bonne performance à son examen le lendemain. La faute de Justine-Faustine, bien sûr !

Il faut dire que dans l’esprit du philosophe, les femmes, à l’exception de sa grand-mère, sont classées en deux catégories : les baisables et les castrantes.

Et elles sont nombreuses les femmes dans la vie de Raphaël Enthoven, qui est plutôt beau garçon, et il le sait. Il nous raconte d’ailleurs le moment où, tel Narcisse admirant son reflet dans un étang, Raphaël découvre sa beauté en découvrant son reflet dans la fenêtre d’un wagon de train…

Son livre a beau être saupoudré de réflexions philosophiques et du récit de sa découverte des grands auteurs, il sonne creux. On cherche ce qu’il y a de romanesque ou de littéraire dans cette longue jérémiade. Pire, malgré toutes les révélations croustillantes qu’il recèle (un chroniqueur de France Inter a suggéré de changer le titre pour La France du maréchal Potin), le livre est ennuyant. Après avoir lu trois paragraphes sur les avantages d’un agenda Filofax, on se demande, mais où était l’éditeur ?

Et que dire des passages absolument sidérants de méchanceté sur l’avortement de Justine Levy ou sur la manière dont elle allait aux toilettes. Pourquoi publier ça ?

Raconter sa vie est un art qui n’est pas donné à tous, et ce n’est pas parce qu’on a côtoyé le Who’s Who de Saint-Germain-des-Prés que ce sera assurément intéressant. Qui plus est, ce qu’on raconte dans le bureau de notre psy n’est pas nécessairement un matériau littéraire, même quand on est philosophe et qu’on s’appelle Raphaël Enthoven. Bref, on referme Le Temps gagné en se disant qu’on en a perdu beaucoup, du temps, en le lisant.

Le Temps gagné
Raphaël Enthoven
Éditions de l’Observatoire
522 pages
★★½