En sociologie, le terme « passing » fait référence à la mobilité sociale d’un individu qui « passe » d’un groupe à un autre. À l’origine toutefois, le « passing » décrivait les personnes identifiées comme noires qui « passaient » pour des personnes blanches. On utilisait ce terme non seulement pour parler de la couleur de leur peau, mais aussi pour parler de leur essence, de leur « nature profonde ».

Le « passing » — il n’y a pas de terme équivalent en français — est un des thèmes centraux du roman de Brit Bennett qui remporte un succès monstre depuis sa sortie aux États-Unis, le printemps dernier.

La jeune romancière — elle n’a que 30 ans — raconte l’histoire de deux jumelles identiques, Stella et Desiree, qui habitent la petite ville (fictive) de Mallard, en Louisiane. Mallard a été fondée par leur ancêtre dans le but d’accueillir une communauté de Noirs métissés aspirant à avoir la peau le plus pâle possible… Leur mère est femme de ménage chez des Blancs, leur père est assassiné par un groupe de Blancs racistes. Un jour, les jumelles s’évanouissent dans la nature (le titre du roman en anglais, The Vanishing Half, fait entre autres référence à cette disparition). Après avoir tiré le diable par la queue à La Nouvelle-Orléans, chacune emprunte un chemin et fait sa vie. Stella épouse un riche Blanc et va vivre en banlieue de Los Angeles où elle « passe » pour une Blanche. Même son mari ignore ses origines (c’est l’autre référence au titre Vanishing Half, cette part d’elle-même qu’elle tente d’effacer). Mais sa blancheur tant revendiquée ne la mettra pas à l’abri du racisme.

Sa sœur, elle, choisira la transgression suprême en épousant l’homme « le plus noir qu’elle peut trouver ». Elle donne naissance à Jude, une petite fille à la peau « noire, presque bleue ». C’est du moins ainsi qu’on la décrit dans le village de Mallard où Desiree revient après une absence de 14 ans. Un retour qui n’a pas fini de perturber les habitants de cette communauté.

Il est donc aussi question de métissage et de colorisme dans le roman de Brit Bennett, le colorisme étant cette discrimination basée sur le teint de la peau au sein d’une même communauté.

Le racisme peut prendre plusieurs formes et les deux sœurs y seront confrontées de différentes façons. Il sera aussi question de transmission et d’héritage puisque leurs filles se rencontreront par hasard. Elles aussi portent le poids des décisions de leur mère.

Il y a plusieurs chemins pour parler de racisme. Ceux qu’emprunte Brit Bennett sont riches et complexes. Dans L’autre moitié de soi, elle soulève plusieurs questions en lien avec l’identité noire qui va bien au-delà de la couleur de la peau. Au-delà du racisme, Britt Bennett signe aussi un beau roman sur la famille et ce que chacun fait de son destin. On peut avoir sensiblement le même bagage et prendre des chemins fort éloignés. Mais peut-on rompre complètement avec ses racines ? Une autre question soulevée dans l’histoire de Stella et de Desiree, qui est formidablement bien racontée. Une fois qu’on plonge dans le roman, il est difficile de le lâcher. HBO a acheté les droits pour en faire une série (on dit qu’il y avait au total 17 chaînes qui souhaitaient acquérir les droits du livre). Pas étonnant. Les thèmes abordés par Brit Bennett sont on ne peut plus actuels et déchirent l’Amérique à quelques semaines de l’élection présidentielle. Et ce n’est pas l’issue du vote du 3 novembre qui va tout régler d’un coup de baguette magique.

★★★½
L’autre moitié de soi
Britt Bennett
Flammarion Québec
378 pages
En librairie le 17 septembre

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

L’autre moitié de soi, de Britt Bennett