C’est l’Autobiographie de l’étranger, mais c’est un roman. Très personnel. Sur l’identité, entre autres. Et d’ailleurs, Marie-Ève Lacasse a une vie très semblable à celle de son héroïne. En entrevue avant la pandémie, autour d’un café dans le Mile End, l’auteure québécoise établie depuis 17 ans à Paris passait sans cesse de sa vie au monde de l’autofiction.

Pourquoi avoir choisi ce titre ?

Toute biographie est une interprétation et une réinvention. Je ne peux pas dire que je suis partie pour toujours pour la France, je n’en sais rien. Pourquoi on part ? Pourquoi on reste, malgré les difficultés ? Ça remonte à l’enfance, à la violence d’être étranger, de ne pas être à sa place. Tout est dans le livre.

En quoi votre écriture sera-t-elle différente après la publication de ce roman ?

Plus jamais après ce livre où je me déshabille, où j’ai montré toutes mes failles, mon écriture sera la même. J’ai attendu très longtemps, 10 ans. Entre l’absence de compromis et le désir d’être aimée, j’ai évité le regard d’autrui. Je cherchais à dire des choses de moi en me cachant. C’est un livre que j’ai écrit même s’il déplaît à la presse. J’ai commencé à écrire comme j’aime lire. C’est un abandon. Les défenses tombent. Après, les lecteurs sont en possession de quelque chose de moi. Ils connaissent mes secrets.

Combien de votre vie se retrouve dans ce livre ?

Dans ce roman il y a des topoï…

Des topoï ?

Le pluriel de topos, des motifs, des obsessions. Mes parents, mes amis, 50 pages plus tard, on va avoir la même scène autrement. Tout peut être vrai, tout peut être pas vrai. Mon père m’a déjà dit : « Tu ne sais pas tout. » Le père de la narratrice... Il y a beaucoup de vérité dans cette phrase. Toute souffrance modifie mon interprétation des faits. À tout ça j’ajoute un niveau technique.

Un niveau technique ?

S’il y a un endroit particulièrement dramatique, j’insère deux scènes plus légères, un dialogue ou monologue intérieur, par exemple.

Aux États-Unis, les autobiographies prenant des libertés avec la réalité sont souvent clouées au pilori. En France, on accepte davantage l’autofiction, avec Jean d’Ormesson, par exemple. Pourquoi ne pas écrire une autobiographie ?

C’est très puritain cette idée de vérité. En disant tout, on devient irréprochable. Ce qui est vrai et n’est pas vrai, l’identité, il n’y a pas plus fuyant que ça. Un jour, on se définit comme homosexuel, le lendemain comme hétéro. C’est très malsain, le repli identitaire. Il y a des sujets que j’aborde comme bisexuelle, comme Blanche, comme Parisienne. Au fond, je ne suis ni québécoise ni française, c’est un mouvement permanent. Le seul lieu où je me retrouve, finalement, c’est l’avion entre les deux. Aujourd’hui, on insiste beaucoup sur les étiquettes, mais j’aime être beaucoup plus punk que ça.

Que pensez-vous du sigle LGBTQ, auquel s’ajoutent souvent d’autres lettres ?

Je suis hyper intéressée à la non-binarité, à la queerness. Tout ce qu’on peut faire pour abolir le patriarcat. Je m’inscris dans ce courant. Il y a beaucoup de conservatisme dans la bourgeoisie parisienne.

Vous parlez d’un masque que vous enlevez avec ce livre.

Cela fait 17 ans que je suis à Paris. Au début, je faisais de la communication, j’en fais moins. J’ai donné des cours de littérature au lycée. Je suis publiée depuis 10 ans. Mais en fait, les premiers 14 ans à Paris, j’ai porté ce masque.

Comment vivez-vous cette thématique de l’étrangeté au quotidien ?

Je me demande bien qui ne se sent pas étranger, pas à sa place. Dans la culture occidentale, c’est très universel de se sentir unique et singulier. Tout le monde se sent étranger. N’importe quel sentiment social à un certain niveau, c’est un espace de mal-être. On parle sans cesse, on boit du vin, on fume des clopes. J’aime bien les gens très mal à l’aise, les grands timides. À cause de notre vulnérabilité, on touche à l’universel.

Comment êtes-vous perçue comme Québécoise à Paris ?

Le Québec est très à la mode. L’édition québécoise est de plus en plus respectée. Mais tout dépend du milieu. Je suis amusée du racisme décomplexé des Français vis-à-vis des Québécois. J’étais au théâtre, on m’a présenté quelqu’un qui a dit que les Québécois étaient des péquenots. Ça m’a heurtée. De temps en temps, je peux voir un peu de mépris. Mais depuis Xavier Dolan, on ne peut pas nier que les jeunes Français rêvent de Montréal. Ils migrent. Ça fait des jaloux.

Extrait

« Je suis une femme inoffensive, douce, polie, un peu voûtée. Je porte une attention particulière à mon apparence, qui doit être soignée. Mes cheveux sont propres car je les lave tous les jours. J’aime porter des habits trouvés, les habits des morts. Tout contact avec l’extérieur m’est peu naturel. Je n’ai réellement aucune idée de la manière dont je dois me comporter en société et pourtant, j’aurai bientôt quarante ans. »

IMAGE FOURNIE PAR FLAMMARION QUÉBEC

Autobiographie de l’étranger, de Marie-Ève Lacasse, aux éditions Flammarion Québec

★★★★

Autobiographie de l’étranger. Marie-Ève Lacasse. Éditions Flammarion Québec.