Nous avons l’habitude dans les bilans de fin d’année de dresser la liste des « meilleurs livres » (j’adore les lire, je déteste les déterminer), mais n’ayant pas été affectée à temps plein à la couverture de la littérature en 2019 — il m’est arrivé une promotion que je n’avais pas prévue dans mon parcours de vie, disons —, j’ai plus envie de vous parler de mes lectures préférées des 12 derniers mois. S’il manque des titres, c’est voulu, parce que le tout est résolument subjectif. Mais il se trouve peut-être là-dedans des idées pour des cadeaux de Noël de dernière minute, si, bien sûr, vous me faites confiance…

Montréal sale

Dans les romans québécois de la dernière décennie, on se pousse dans le bois, on magnifie les régions, on voyage hors du pays ou on roule dans ses pensées. Et Montréal, comme toile de fond ou comme personnage, me manque un petit peu. C’est sûrement pourquoi j’ai tant apprécié des romans comme Le Mammouth de Pierre Samson (Héliotrope), L’évasion d’Arthur ou la Commune d’Hochelaga de Simon Leduc (Le Quartanier), Mademoiselle Samedi soir de Heather O’Neill (Alto), Les limbes de Jean-Simon Desrochers (Les Herbes rouges) et Le marabout d’Ayavi Lake (VLB éditeur).

PHOTO SANDRA LACHANCE, FOURNIE PAR HÉLIOTROPE

Pierre Samson, auteur du Mammouth

Dans tous ces livres, ce n’est pas le Montréal branché des tours de condos qu’on explore, mais la ville dans ses coins les plus crades ou colorés, à différentes époques. Ce sont les aspirations révolutionnaires d’Hochelag’ vues par les yeux d’un enfant chez Leduc, la relation passionnelle des jumeaux souverainistes Nouchka et Nicolas Tremblay chez O’Neill, la destinée complexe de Ti-Best, né dans les toilettes d’un bordel du Red Light, chez DesRochers et le mélange magique des identités dans le quartier Parc-Extension chez Lake. Au sommet de la pile, mon favori, l’impressionnant Le Mammouth, inspiré d’un fait historique méconnu – le meurtre par un policier d’un immigrant ukrainien, Nikita Zynchuck, en 1933 –, qui met de côté l’éternelle vision canadienne-française du passé de Montréal pour nous plonger dans les quartiers d’immigrants traités comme des bêtes pendant la Crise, et tous soupçonnés d’être des communistes. Samson, qui s’appuie sur une solide recherche, déploie avec son sujet un style hyper maîtrisé, presque chirurgical, et dévoile les viscères d’un pan d’histoire de Montréal.

Les essais de Zulma

En 2019, la maison d’édition française Zulma a lancé sa collection d’essais, où l’on promet trois ou quatre parutions annuelles, qui feront découvrir des penseurs de partout dans le monde et dont la plupart n’ont jamais été traduits en français. J’ai dévoré les deux premiers titre, La pensée écologique de Timothy Morton et L’âge de la colère de Pankaj Mishra, qui appartiennent à cette catégorie très rare des livres qui changent profondément votre vision du monde, dans un passionnant mélange d’érudition et d’analyse traversé par la littérature. Pour être honnête, j’ai cassé les oreilles de mes amis avec ces deux essais que j’offre en cadeau pour ne pas triper toute seule. J’en suis venue à attendre tous les titres à paraître de cette collection, peu importe le sujet de l’essai. Leur dernière publication ? Le dictionnaire des émotions ou comment cultiver son intelligence émotionnelle de Tiffany Watt Smith, qui n’est pas du tout un banal manuel de croissance personnelle, croyez-moi.

Yo, McEwen !

Je ne rate aucun texte de Jérémie McEwen, qui est collaborateur dans notre section Arts et être, même si je n’ai pas du tout grandi avec le hip-hop, que j’ai découvert à l’âge adulte. En injectant son savoir philosophique à ce genre musical devenu aujourd’hui dominant, ce prof près des goûts de ses étudiants lui donne tout le sérieux auquel il a droit. On retrouve ce respect et cette passion dans son essai Philosophie du hip-hop, des origines à Lauryn Hill, paru chez XYZ et préfacé par Webster, que vous devriez donner en cadeau à tout ado fan de cette musique. Ça pourrait étonnamment le mener à Socrate.

Jubilation

Il y a des écrivains dont on sent le plaisir d’écrire transpercer chaque page et ça, c’est précieux, pour ne pas dire contagieux. C’est le cas de Marie-Ève Thuot, qui a signé, à mon humble avis, l’un des romans les plus forts de l’année avec La trajectoire des confettis (aux Herbes rouges) — et il s’agit de son premier, en plus.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Ève Thuot

Ce grand roman familial s’éloigne pourtant beaucoup de la famille traditionnelle, avec un point de vue avant-gardiste qui se projette même dans le futur. J’ajouterais dans ce rayon l’incontournable David Goudreault, qui est sorti de sa trilogie de la Bête en plongeant tête première dans un hommage senti à la littérature et aux écrivains torturés avec Ta mort à moi (Stanké), ainsi que Les Testaments (Robert Laffont) de l’infatigable Margaret Atwood, qui nous a enfin offert la suite tant attendue de La servante écarlate, mais en n’en faisant qu’à sa tête, peu importe la direction que la populaire série télévisée a l’intention d’emprunter — la sortie de ce roman a d’ailleurs été l’évènement éditorial de l’année, surpassant le tapage prévisible autour du dernier Houellebecq.

Cadeaux égoïstes

Je ne peux vous parler de ces titres, car j’ai égoïstement décidé de me les réserver pour les vacances. Ainsi, je passerai mon temps des Fêtes au coin du feu avec L’apparition du chevreuil d’Élise Turcotte, Pour mémoire de Rafaëlle Germain et Dominique Fortier, Les agents de Grégoire Courtois, Ceux de là-bas de Patrick Senécal, Le Boys Club de Martine Delvaux et Amazonia de Patrick Deville.

Un joyeux Noël et de bonnes lectures à tous !