Il est peut-être écrit « récit » sous le titre, mais Le moine de Moka a tout du roman tellement ce qui y est raconté dépasse la réalité. Le populaire écrivain américain Dave Eggers (Le cercle, Un hologramme pour le roi) ne s’y est pas trompé en s’intéressant à l’histoire de Mokhtar Alkhanshali, jeune Américain d’origine yéménite élevé dans un des quartiers les plus durs des États-Unis, Tenderloin à San Francisco, qui, après avoir découvert que le café prenait en grande partie ses origines au Yémen, décide de le faire connaître et de le distribuer tout en aidant les producteurs.

Grâce à sa débrouillardise, son optimisme sans faille, son sens inné des relations humaines, son flair et son bagout hors du commun, le jeune homme réussira à se former et à s’imposer dans le monde hyper compétitif et spécialisé du café dit « de troisième vague », à convaincre les producteurs yéménites d’adapter leurs méthodes, et à mettre sur le marché « le meilleur café du monde ». Tout cela en deux ans, entre 2014 et 2016, alors qu’il ne connaissait à peu près rien au café jusque-là.


La première partie du livre s’attarde surtout à son apprentissage — qu’il fait à vitesse grand V, à la fois un peu frimeur et très volontaire. Puis la deuxième montre à quel point il a aussi fait face à une adversité exceptionnelle : pendant que Mokhtar est en repérage au Yémen, début 2015, il se retrouve prisonnier du pays alors que les bombes saoudiennes pleuvent, que la guerre civile couve et que les frontières sont fermées.


Alors que le gouvernement américain a abandonné ses ressortissants, le jeune homme multipliera les tentatives pour sortir du Yémen. Son objectif : se rendre à une importante foire commerciale à Seattle avec une valise remplie de grains de café yéménite, parce que c’est là que repose tout son avenir et celui de tous ceux qu’il a embarqués dans son aventure. Il réussira bien sûr… mais il faut le lire pour savoir de quelle manière !


Mokhtar est en fait un superhéros qui a frôlé la mort et la séquestration plus d’une fois, mais qui s’en est sorti grâce à un mélange de bonne étoile et d’intelligence, le tout saupoudré d’un soupçon d’insouciance et porté par une vraie tête dure. Un superhéros qui, plutôt que d’avoir les yeux bleus de Brad Pitt, a le malheur d’être né avec la peau foncée qui suscite la méfiance dans les aéroports — ce qui rend son parcours encore plus admirable.


Dave Eggers raconte donc cette histoire aussi incroyable et rocambolesque qu’édifiante, remplie de punchs et de montées dramatiques. Et on se rend jusqu’au bout de ce récit palpitant sans jamais s’ennuyer, surpris, mais aussi émus par tant de ténacité — l’immense majorité d’entre nous n’aurait pas réussi le centième de ce qu’il a accompli —, mais pas particulièrement étonnés que Mokhtar soit devenu un homme d’affaires prospère, respecté et responsable. Sa manière de se soucier de ses producteurs et employées yéménites, par exemple, le rend encore plus sympathique. Une fois qu’il a atteint son but, Mokhtar n’a jamais renié sa mission.


En prime dans ce livre vraiment intéressant, une foule d’infos sur le café, de ses origines à son marché, de sa culture à sa dégustation qui peut être aussi sophistiquée que celle du vin — l’envie de boire un bon macchiato surgit d’ailleurs souvent pendant la lecture. C’est aussi un passionnant rappel de la géopolitique du Yémen, ses conflits et ses forces, vue autant de l’intérieur que de l’extérieur.


On n’est pas près d’oublier Mokhtar Alkhanshali, incarnation moderne du rêve américain et personnage plus grand que nature, que rien n’arrête, ni les contrôles de sécurité ni les bombes. Et merci à Dave Eggers de lui avoir consacré sa plume et son talent de conteur pour nous le faire connaître.

★★★½

Le moine de Moka. Dave Eggers. Gallimard. 379 pages.