La mort de Roi, c’est la naissance d’une écrivaine : Gabrielle Lisa Collard. Une voix novatrice et originale qui sort des sentiers battus, parcourant l’autoroute Décarie, explorant la cruauté et sondant les tréfonds des pensées tantôt sensibles, tantôt sadiques d’une narratrice aussi attachante que démente. 

« Il a été le seul être à m’aimer, pendant une éternité, et sa longue face rousse de loup précieux mangeur de kleenex a endormi le monstre un bon bout de temps. » Quand son chien, son compagnon, son confident, sa source de calme, rend l’âme, quelque chose dans le cerveau de Max se déclenche. Saute. Snappe. Déferlante de violence.

Inspirée de la mort du propre chien de l’auteure, Salem, dit Le Bon, qui l’a accompagnée pendant des années, cette épopée montréalaise signée Gabrielle Lisa Collard est loin des habituels récits de vie branchés de la métropole. « Ça ne me tentait pas d’écrire les méditations de vie d’une trentenaire en ville », dit-elle.

Résultat ? Elle a plutôt écrit La mort de Roi. Narré par une protagoniste qui se fout des tendances, méprise les suiveux de mode, fuit les lieux courus et affirme : « Je suis juste tout le temps en tabarnak. » En tabarnak tout le temps, Gabrielle Lisa Collard ne l’est guère, mais découragée des gens ? Souvent. « Tout le monde est un peu con », lance-t-elle avec un grand sourire. Le mot con reviendra d’ailleurs fréquemment dans ses pages. « C’est mignon, “con”. C’est un mot qui fait la job. »

La job, ou plutôt l’occupation habituelle de la primoromancière, c’est journaliste (pour Elle Québec), blogueuse (pour DixOctobre) et traductrice (pour des boîtes de pub). Son livre, alors ? Il est né d’un mélange de « temps et d’énergie ». Écrit au je et formé d’un flot de pensées qui déferlent, il offre un accès dans les tréfonds les plus boueux, les plus noirs, parfois les plus drôles d’un cerveau. Celui d’une protagoniste aux propos incisifs, inspirée du côté « le plus cru, ado et laid possible » de sa créatrice. « Je sais que cette facette de moi existe, confie-t-elle. J’ai voulu l’extrapoler. »

Il faut voir jusqu’où ! Les meurtres commis dans son récit sauraient être comparés (référence évidente) à ceux de l’American Psycho de Bret Easton Ellis. Sauf que Max-la-tueuse-en-série n’a pas la froideur calculatrice de Patrick Bateman. « Je ne voulais surtout pas qu’elle soit insensible, narcissique, unidimensionnelle et qu’elle ait du plaisir à dépecer du monde. » Rédiger les scènes sanglantes aura par ailleurs profondément dégoûté cette amatrice de crime-réalité.

Je me disais : “Oh, ça va être le fun d’écrire les passages gore.” Finalement, ça m’écœurait beaucoup. Je n’arrêtais pas de penser : “Non, arrête, c’est vraiment pas fin !”

Gabrielle Lisa Collard

Écrire, pour de vrai

Gabrielle Lisa Collard écrit comme elle discute : de façon authentique, souvent très comique, avec des observations mordantes. Exemple : « Je veux juste être vieille et zen et me foutre que tout brûle autour parce que de toute façon c’est horrible et on va tous mourir. »

Et c’est également d’une langue franche et réaliste qu’elle décortique dans son roman le passage à l’âge adulte. La déception cuisante qui l’accompagne. La difficulté à réconcilier « l’intensité de l’existence avec son insignifiance ». Reflet de la perception de Gabrielle ? 

« Quand on est jeune, on pense que les grands savent ce qu’ils font. Qu’ils ont le contrôle sur tout. Mais les années passent et on réalise qu’être adulte, c’est super épeurant. Qu’on nous a menti. Qu’on nous a dit qu’on saurait quoi faire, mais c’est faux. » — Gabrielle Lisa Collard

Son (anti)héroïne sait toutefois que ce qu’elle fait, elle, est un brin tordu. S’immiscer ainsi dans des maisons incognito, passer du temps dans le mobilier des autres, toucher à leurs objets, se reposer sur leur lit ? Étrange comportement. Quoique… « Moralement, je trouve ça horrible. Mais si j’avais un super pouvoir d’invisibilité, j’aurais de la misère en maudit à ne pas aller fouiller dans les tiroirs, s’esclaffe l’écrivaine. Analyser la déco, les odeurs, l’ambiance, la couleur des ampoules… Une maison, c’est comme une petite bulle. C’est tellement fascinant. »

Fascinée également par la vie des autres, la double, la secrète, Gabrielle s’est inspirée des voisins qu’elle entrevoit parfois pour en faire les souffre-douleur de son roman. « Des vrais monsieurs vivant dans des vraies maisons que je croise en me promenant dans le quartier. Ils ont l’air super plates. Plates, plates, plates. En tout cas, j’ai décidé ça. Je ne veux pas savoir s’ils sont gentils, sinon je me sentirais super mal de ce que j’ai imaginé et écrit. »

On remarque, sourire en coin, qu’elle a suivi un processus semblable à celui de sa protagoniste, qui souhaite en savoir le moins possible au sujet des gens auxquels elle fait du mal. Et qui lance du reste à l’adresse de l’une de ses victimes : « Si j’avais appris que tu peignais en secret, que tu faisais sourire tes employés avec tes courriels remplis de gifs et d’inside jokes les lundis matin, que tu payais les bagels au lunch, que t’avais une sœur lesbienne qui avait senti qu’elle pouvait t’en parler à toi avant les autres, ou que t’entretenais une passion pour les comptes Instagram de hamsters coréens en vêtements miniatures, comme moi, je t’aurais tué quand même, mais j’y aurais pensé plus longtemps après. »

En pensant aujourd’hui à ce roman rythmé, GLC note la fierté de savoir que son père, le regretté souffleur de verre Gérald Collard, l’a apprécié. C’est avec lui qu’elle a lancé l’atelier Neon Family, lui qui a créé le « néon-bible » de la pochette de l’album du même nom d’Arcade Fire. « Il l’a lu avant de mourir et il l’a full aimé. C’est important. » Autre fierté : « J’ai encapsulé mon chien dans ces pages et maintenant il est vivant. Pour toujours. »

IMAGE FOURNIE PAR CHEVAL D’AOÛT ÉDITEUR

La mort de Roi, de Gabrielle Lisa Collard

La mort de Roi

Gabrielle Lisa Collard

Cheval d’août éditeur

160 pages