« J’écris avec mon ici. » Quand Véronique Grenier le dit, elle se recroqueville un peu sur elle-même en pointant son cœur, son ventre, son intérieur. Là d’où viennent tous ces mots qui disent si bien les morts multiples que l’on traverse, les déceptions répétées, la peur du vide, l’envie de se poser. Ces mots si justes qu’elle a posés dans son Carnet de parc.

À la fin de Carnet de parc, dans la traditionnelle section des remerciements, on retrouve une petite liste. Un nom, un nom, un nom, puis « la vie, estie ».

Gardé pour la toute fin, ce merci. Qui dit que finalement, malgré tout, il est possible de se relever. Même du pire. « Merci la vie parce que, souvent, on laisse une part de soi et on tombe, explique Véronique Grenier. Mais ce sont ces épreuves, cette mue du serpent, qui font que l’on devient autre chose. »

Autre chose également que ce troisième livre de l’écrivaine sherbrookoise. Une « autre chose » qui constitue néanmoins une continuité. Car celle qui est également prof de philo n’aime pas, vraiment pas, se répéter, stagner, redire. La mue du serpent dont elle parle, elle l’applique également à ses textes.

Ainsi, on est ailleurs que dans ses œuvres précédentes. Ailleurs que dans Chenous, ailleurs que dans Hiroshimoi

Je me surprends chaque fois. Il y a une évolution dans comment j’écris. Et dans celui-ci, c’est particulier, il y a du jeu et du ludique. Malgré le propos un peu bizarre.

Véronique Grenier

À ce propos, de quoi est-il question dans ce Carnet de parc ? D’un parc, d’un lieu, d’un endroit où l’on atterrit pour traverser une crise existentielle. Un lieu qui existe, dit l’écrivaine. Ou du moins, qu’elle rêverait de voir exister. « Où on est garroché pour vivre en semi-paix. »

Un « lieu rond » où elle « garrochera » à son tour sa narratrice. Racontant son séjour dans cet étrange endroit par le truchement de la poésie, d’entrées de journaux intimes. De tournures travaillées. « Ce qui m’importe, c’est que le mot, la forme et l’émotion soient toujours à peu près là en même temps », dit-elle en dessinant une ligne de la main. « Je veux que les mots aient une vie, un relief. »

Sauter sans poussée

Justement, dans ces pages, on saute de haut pour se jeter dans le vide, on grimpe et glisse en tentant de s’extraire d’un trou noir. Et sa protagoniste est prise là, dans cet étrange endroit, attendant d’avoir le courage de sauter sans poussée. Épiée sans cesse par un groupe de gens. Qui donnent des conseils, des ordres. Des surveillants décrits mystérieusement par un « on » en italique.

« on nous dit de prendre une pelle / de se creuser un trou / bien à soi / j’en fais deux trois / question d’avoir le choix »

Le choix d’utiliser ce « on » ? C’est vraiment dans l’écriture qu’il est apparu. « Soudain, il est arrivé, se souvient Véronique Grenier. Et j’ai fait : “Ah O.K., allô !” Et on a continué à travailler ensemble. »

Car l’écrivaine ne suit pas, jamais, de plan. 

Les fois où j’ai eu des intentions, ç’a toujours fait des textes de marde. Alors j’ai décidé de cesser de les gérer. De laisser mes textes vivre par eux-mêmes.

Véronique Grenier

Les étapes, les modes d’emploi ? Elle ne les apprécie pas tant que ça. Elle mentionne d’ailleurs dans ce livre le mouvement à la mode du « self-care ». Soit ce concept préconisant de « prendre soin de soi ». « Self-care mon amour. »

Elle sourit à cette évocation. Avoue que, personnellement, elle préfère le terme bienveillance. « Je le trouve plus… humain. Ce n’est pas juste “je-vais-faire-des-affaires-fines-pour-moi-aujourd’hui-et-boire-du-chocolat-chaud” (même si je comprends que ça peut aider des gens). C’est avoir une attitude générale d’indulgence, de douceur, de compréhension envers soi. »

La compréhension envers soi. Voilà peut-être l’une des choses les plus complexes à accomplir. Elle l’écrit de sa plume parfaite : « On est toujours plus vulnérable que ce dont on a l’air. »

« La vie des autres »

Encore une fois, celle qui en avait parlé dans les pages d’Urbania lance un appel à la compassion. Un éveil à ce qu’elle nomme « la vie des autres ». Parce que cette vie, on ne la connaît jamais vraiment. On ne sait jamais les souffrances, les blessures. « Tout ce que les autres nous cachent, ne nous offrent pas. »

La poétesse offre ici, entre autres, sa vision de ces citations que l’on se répète dans l’espoir de se réconforter, carpe diem. « Ces phrases imprimées sur fond de paysage, je suis la première à les lire, dit-elle. Même si je sais que c’est une consolation momentanée. J’assume mes contradictions. »

Un passage de son Carnet en fait foi : « Cher Journal. Je suis pétrie de contradictions. Merci. »

Dans le chemin vers l’acceptation de ces discordances de soi, les personnages de son parc seront notamment poussés à participer à des ateliers de bricolage. « Une activité faite de menus détails. De composition. De création d’harmonie dans un tout chaotique. »

Et c’est peut-être pour dompter ce chaos, pour donner du sens à un monde qui en manque, que Véronique Grenier a conçu ce Carnet. « Je crois, dit-elle, que c’est une chose bonne d’être en contact avec cette portion de soi qui brûle, qui chauffe, qui bout. » Comme ces mots que l’on garde gravés en soi, longtemps, encore.

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS DE TA MÈRE

Carnet de parc de Véronique Grenier

Carnet de parc

Véronique Grenier

Les éditions de Ta Mère

100 pages