Les abysses, livre à la « couverture noire comme l’album de Metallica », sonde la solitude qui ronge. L’amitié qui change les idées. Toutes ces choses que l’on serait prêt à faire pour empêcher l’autre de sombrer. La pulsion. De vivre, de protéger. Et cet amour inconditionnel qu’un père peut porter à sa fille. Biz dédie d’ailleurs ce septième roman à la sienne.

« Le livre que je vous donne, c’est un miroir que je vous tends. » On le comprend : Biz aime que se reflètent dans ses mots les pensées du lecteur. Ses valeurs, auxquelles il devra peut-être faire face. Ses préjugés, qu’il s’apprête peut-être à secouer.

Préparez-vous à l’être avec Les abysses. Là où il a planqué un père et sa fille. Inextricablement liés. Isolés dans deux univers aux antipodes.

D’un côté, il y a la forêt. Lieu apaisant où l’on marche pour mieux « mouliner sa détresse ». De l’autre, le pénitencier à sécurité maximale de Port-Cartier. Endroit « stupidement laid ». Où « tout est dur, anguleux, fade, froid, bruyant et nauséabond ». Un lieu que l’auteur compare à un zoo, la nuit. Rempli de détenus, pareils à « des animaux fous ». Mais ce n’est pas la seule meute qui meuble son roman. Celle des journalistes, qui débarque en flairant un crime crapuleux, est tout aussi vorace.

Ces Abysses que l’on dévore, ce sont également celles des réseaux sociaux où l’on « s’abîme l’âme ». Là où tout n’est que « raccourcis, injures et fautes d’orthographe. »

Fuyant cette cathédrale de commentaires chargés de colère, l’écrivain creuse les pensées profondes de ses personnages. Les insère, tels des indices, en italique. « Je lui dis jamais rien. Il pourrait pas comprendre. »

Le lecteur comprend, lui, que sa perception est peut-être faussée par son propre parti pris dans ce récit en trois actes inversés. Aux comparaisons précises. Car l’amour du mot « comme » est continu chez Biz. Les relations détenus-gardiens tendues « comme une corde de pendu ». Sang, pleurs et hurlements, « comme dans tout accouchement ». Un gardien tranchant « comme un katana ». Un cerveau qui butine « comme un colibri chez un fleuriste ». Comme d’habituuuuuuude, chanté « fort et faux ».

À vous l’action

Si certains écrivains abhorrent l’adjectif « cinématographique » lorsqu’il est utilisé pour décrire leur travail, le rappeur s’en réclame. Ses romans ? « Ce sont comme des scénarios que je vous donne. Chaque paragraphe est une scène. Avec une caméra placée à un endroit. » Au lecteur, alors, de s’en emparer pour réaliser son propre film. Lui fournit la musique, les grandes lignes de la direction artistique. Et émaille ses Abysses de titres horrifiques. The Blair Witch Project. Amityville. Psycho. « On mélange ça, et paf. Pas besoin de trois pages. Vous avez des images. »

Se perdre en descriptions, perdant du même souffle ceux qui le suivent ? Très peu pour le membre de Loco Locass. « Le lecteur a cent mille autres choses à faire. S’occuper de ses enfants, faire le lavage, préparer le souper. Et quand il accepte de s’extraire de sa vie pour me lire, c’est un immense honneur qu’il me fait. »

L’écrivain l’honore en retour de clins d’œil à ses œuvres précédentes. Ses « planètes ». Qui forment son propre « système solaire ». Comme en fait foi le passage suivant rempli des titres de ses titres à lui. « Dérives. Chute. Naufrage. Elle est un mammifère sans chaleur sur un terrain mort. »

Le mort est ici, possiblement, un touriste texan. Sa disparition est signalée. L’enquête est mise en branle. Mais attention : « On n’est pas dans CSI Baie-Comeau. »

On est plutôt dans un roman noir psychologique policier. Pour le rédiger, Biz a dû se « décoloniser l’imaginaire ». Celui peuplé par les classiques, les clichés et les codes américains. « Mes romans ne sont pas nécessairement engagés, mais ils ont la prétention de rendre compte du Québec au monde. Et aux Québécois eux-mêmes. »

Évitant d’en « faire un Jack Bauer », il fait plutôt de son protagoniste un bon jack. Un père qui a élevé sa fille tout seul. Et que l’on découvre, seul dans sa cellule. Affublé du surnom de « boucher de Baie-Comeau ». Se pourrait-il que derrière la façade de gentil monsieur se cache un psychopathe sadique ?

Avant la chute

Désirant provoquer un effet maximal, et suivant la maxime voulant que tout ce qui mérite d’être fait mérite d’être bien fait, Biz a consulté, entre autres, des procureurs du DPCP pour dépeindre de façon crédible son environnement.

L’impact de l’environnement sur les êtres, thème exploré en 2016 dans Naufrage, retentit en outre dans ces pages. « Je suis allé en prison quelques fois. La bouffe est dégueulasse. Tout est dégueulasse. On ne peut pas s’attendre à engendrer des pacifistes dans un tel univers. À force de se faire marteler, l’acier durcit. »

Autre thème qu’il continue de travailler et qui le travaille, lui ? Celui du destin qui peut tout faire basculer. Changer la trajectoire d’une vie en un instant. Transformant un simple moment en « l’événement ». « Avec un avant et un après. » Avec un « l » apostrophe. Et en italique. « Parfois, on réalise à quel point on est passé proche de tomber, remarque-t-il. Dans la vie, on marche sur un fil et on ne le sait pas forcément. Si on le savait, on ne bougerait plus. On ne ferait plus rien. »

Ce que Biz fait pour combattre cette idée, cette peur qui tétanise, c’est écrire. Et il y a un avant. Et un après son roman.

PHOTO TIRÉE DU WEB

Les abysses, de Biz

Les abysses, de Biz, Leméac Éditeur, 144 pages, En librairie