Le milieu littéraire peut-il se permettre de lever le nez sur les auteurs populaires donnant dans la littérature dite « de genre » ou devrait-il plutôt les utiliser comme locomotive au profit de ceux qui sont dans l’ombre ?

Dans un témoignage coup de poing publié à la fin de mai sur le site internet littéraire ActuaLitté, le populaire auteur français de romans jeunesse Antoine Dole raconte le mépris dont il fait souvent les frais. Un exemple : « Je partage la voiture avec trois autres auteurs. L’une explique qu’elle fait de la fantasy, une autre de l’essai politique. À mon tour, j’explique : “Moi, j’écris de la littérature jeunesse.” La quatrième autrice pianote sur son téléphone comme si nous n’étions pas là. Je lui demande ce qu’elle écrit, elle me dit “De la littérature” sans décoller les yeux de son écran. Je lui demande “Quel genre ?”, elle me répond “De la vraie”. »

Le milieu littéraire québécois est-il moins snob ? Peut-être, mais ce préjugé séparant littérature « noble » et « populaire » a la vie dure. « Je n’ai jamais considéré la littérature populaire comme quelque chose de péjoratif. Ce qui fait mon bonheur, c’est de rejoindre des gens, car j’écris pour eux. J’ai toujours préféré avoir plus de ventes et moins de louanges. Mais c’est dommage d’être regardé de haut, car oui, je l’ai été… », raconte Marie Gray, autrice de la série pour adultes Histoire à faire rougir, qui a connu un succès international.

En finir avec les catégories

Alors que la littérature dite « de genre » est souvent boudée par le milieu littéraire — des critiques aux prix littéraires —, c’est elle, paradoxalement, qui trouve souvent le plus d’adeptes chez les lecteurs. Et si on arrêtait de catégoriser ?

« Je suis contre la distinction entre la “vraie” littérature et le roman de genre, affirme la romancière Suzanne Aubry, qui a touché au cours de sa carrière à plusieurs genres, dont le roman historique avec la saga Fanette. Il y a un intérêt pour ce type de littérature au Québec et c’est une bonne chose, dans un contexte où il faut redonner aux adolescents, notamment, le goût de la lecture, ce qui passe par le plaisir de la lecture et non l’obligation de lire ! »

« On a une richesse au Québec et on ne devrait pas sous-catégoriser ou rabaisser un genre de littérature. Ce n’est pas correct ni pour les auteurs ni pour les lecteurs », poursuit Arnaud Foulon, vice-président, éditions et opérations, chez Hurtubise.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le préjugé séparant littérature « noble » et « populaire » a la vie dure.

Un exemple ? Les romans « de genre » qui, année après année, s’inscrivent aux palmarès littéraires. Ainsi, les trois livres québécois qui ont connu les meilleures ventes en 2018 sont les trois tomes de la série Yamaska. La romancière Louise Tremblay-D’Essiambre a vendu plus de 2 millions d’exemplaires de sa trentaine de romans historiques ; l’autrice de « chick lit » Amélie Dubois, plus de 375 000 exemplaires de ses 13 romans.

« Les critiques s’intéressent très peu à la littérature de genre. C’est une réalité avec laquelle on doit vivre, car oui, il y a un peu de snobisme. Valérie Chevalier est un bon exemple ; car elle a une qualité d’écriture… Des fois, j’aimerais que certains prix littéraires se penchent autant sur une Valérie Chevalier qu’un Éric Dupont. Pourquoi pas ? », questionne Arnaud Foulon.

« Des locomotives de l’industrie »

Le romancier et poète David Goudreault croit que le milieu littéraire ne devrait pas juger trop sévèrement les romans de genre, même si certains reprennent « une formule éculée qui a fait ses preuves mais qui n’invente rien non plus ». « La réalité, c’est que ce sont ces auteurs qui gardent les librairies ouvertes et les maisons d’édition vivantes, en leur permettant de prendre des risques sur des auteurs avec lesquels elles vont probablement perdre de l’argent. Ce sont des locomotives de l’industrie. »

Même son de cloche du côté de Jean Baril, nouvellement arrivé comme directeur général chez Québec Amérique. Une des stratégies qu’il compte mettre en place, afin d’aider justement les auteurs à plus petit tirage, est de développer une gamme de livres grand public.

« On va lever le nez sur ces auteurs, mais ce sont eux qui aident les éditeurs à faire plus de profits, des profits qui permettent de faire paraître de nouveaux auteurs. S’il fallait refuser de publier la majorité des auteurs qui ont des tirages de 1000 exemplaires… Je pense que ce serait assez effrayant pour le milieu littéraire ! »