Jusqu’à demain, une délégation de traducteurs allemands est en visite à Montréal pour rencontrer des auteurs québécois, participer à des ateliers de traduction et s’imprégner de notre métropole. Cette activité s’inscrit dans les préparatifs à la Foire du livre Francfort 2020, où le Canada sera à l’honneur. Parmi les œuvres québécoises qui seront traduites : Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, Chercher Sam de Sophie Bienvenu et La bête creuse de Christophe Bernard. Nous avons rencontré ce dernier avec sa traductrice, Nicola Denis.

Nicola Denis n’avait jamais mis les pieds au Québec avant cette semaine. Si elle s’est retrouvée à Montréal en ce mois de mai frisquet, c’est grâce au traducteur Franz Heibert qui a eu l’idée de cet atelier littéraire organisé par Québec Édition, et réunissant traducteurs allemands et écrivains québécois. « Au départ, Franz avait une liste de 10 titres qu’il avait envie de promouvoir auprès des Allemands et il a demandé à d’autres traducteurs si ça les intéressait, explique-t-elle. Un groupe d’éditeurs allemands est venu au Québec l’automne dernier et, parmi eux, une éditrice a eu un coup de cœur pour le livre de Christophe. On m’a demandé de traduire un échantillon de 30 pages pour voir si ça fonctionnait en allemand, car ce n’était pas gagné. »

En effet, La bête creuse, qui a remporté le Prix des libraires l’an dernier, est une fresque familiale ambitieuse de 700 pages qui se déroule en Gaspésie sur un siècle et plusieurs générations. Un roman où la langue est imagée, colorée, riche et évocatrice. Bref, un roman qui représente un défi colossal pour un traducteur. « Je suis conscient que c’est un texte qui n’est pas évident à traduire, note Christophe Bernard. Il m’est arrivé, pendant l’écriture, de sourire en pensant à la personne qui aurait peut-être à le faire un jour. »

Pour Nicola Denis, traductrice de Philippe Lançon, Éric Vuillard et Balzac, le vocabulaire et la mythologie imaginée par Christophe Bernard dans La bête creuse représentent un défi stimulant.

« C’est la langue qui m’a séduite, ainsi que l’humour de Christophe. »

Nicola Denis croit que la langue et l’univers de Christophe Bernard séduiront les lecteurs allemands qui sont très ouverts aux littératures étrangères et qui ont, eux aussi, leurs mythologies et leurs patois. L’éditrice qui s’était intéressée à La bête creuse l’automne dernier s’est désistée, mais la traductrice a bon espoir qu’un autre manifestera son intérêt bientôt.

Éviter le « piège »

Pour Christophe Bernard, l’exercice de traduction est d’autant plus intéressant qu’il est lui-même traducteur. « Je suis conscient qu’il y a le danger de l’auteur qui regarde au-dessus de l’épaule de son traducteur, mais je ne tomberai pas dans ce piège, affirme ce Gaspésien d’origine aujourd’hui installé au Vermont. Même si j’ai séjourné quelque temps à Berlin au début des années 2000, ma connaissance de l’allemand est quand même limitée. Et puis j’ai consacré des années à ce texte, je n’ai pas envie d’y retourner. »

Quelques heures avant notre rencontre, la traductrice et l’auteur participaient à un des ateliers au programme de cette semaine d’échange. Après que Nicola Denis eut lu devant ses collègues les 30 pages de La bête creuse traduites jusqu’ici, le texte a été soumis à la discussion. « Mes collègues m’ont fait remarquer que je pouvais appuyer davantage certains traits d’humour, raconte Nicola Denis. D’autres ont suggéré quelques changements mineurs, mais dans l’ensemble, le texte a été très bien accueilli. »